Prosper Wanner : La coopération peut-elle stabiliser durablement l’économie du patrimoine ?

La nature du patrimoine « à protéger » ne cesse de s’accroitre : patrimoine naturel, industriel, immatériel. Les financements publics pour le conserver, eux, connaissent une baisse tendancielle. Face à cette situation, plusieurs institutions publiques ont misé sur le développement de modes de financements privés. Le mécénat et le « tourisme culturel », au centre de ces nouveaux modes de financement, montrent aujourd’hui leur forte sensibilité à un contexte économique incertain. Les musées américains comme ceux italiens doivent faire face à une baisse brutale de leurs ressources privées. La demande culturelle et encore plus le mécénat connaissent une forte baisse.

Les engagements financiers sur le long terme tels que les travaux de restauration ou la préparation d’exposition peuvent difficilement être tributaires d’aléas économiques comme le prix du pétrole ou la spéculation financière au risque d’hypothéquer l’inaliénable.  Les critiques sur le recours au financement privé ont jusque là porté sur les risques d’instrumentalisation : perte de sens, surexploitation, marchandisation. La crise pétrolière puis financière de 2008 pose la question de sa stabilité.

Cette situation, baisse des ressources publiques et incertitudes des ressources privées sensées les compenser, donne une valeur économique particulière à la participation citoyenne aux politiques du patrimoine. Elle contribue à rendre moins vulnérable l’économie du patrimoine. Jusque là sous estimée, elle permet de mieux répartir les risques. Elle repose sur des modes de financements diversifiés par leur nature (bénévolat, financements publics, participation, commerce) et leur filière (commerce, agriculture, éducation, …).

La répartition des rôles et des intentions entre les acteurs privés et publics évolue.

Les politiques publiques évoluent dans le sens d’une culture du résultat : mesure de la performance, justification des dépenses, valorisation des ressources. Les conservateurs sont appelés à devenir davantage des gestionnaires. Concernant les acteurs privés, des entreprises à but lucratif ou non prennent en compte la défense d’intérêts jusque là portés par la puissance publique : responsabilité sociale, développement durable, économie solidaire. Des personnes entreprennent pour défendre un patrimoine menacé. Le cloisonnement traditionnel entre économie et culture laisse place à davantage d’interrelations.

Cette situation soulève autant d’espoirs que de craintes. D’un coté, elle soulève la crainte d’une instrumentalisation croissante du patrimoine : perte de sens, surexploitation, marchandisation. De l’autre, elle repose sur l’espérance d’une contribution accrue du patrimoine au développement d’une société plus démocratique et pacifique.

Plutôt que de se faire face, des conservateurs et des entrepreneurs cherchent à développer de nouvelles formes d’économie du patrimoine basées sur la coopération.

Notre coopérative est positionnée sur l’émergence de coopérations économiques public privé favorables au développement durable. A la demande de l’association générale des conservateurs des collections publiques de France, section Provence-Alpes-Côte-D’azur (agccpf), nous avons réalisé en 2007 trois diagnostics économiques de coopération alliant des conservateurs et des entreprises favorables au développement durable. Nous avons choisi comme grille d’analyse celle mise en place pour accompagner la modernisation de l’Etat français : mesure de la performance vis à vis du contribuable (efficacité), de l’usager (qualité du service) et du citoyen (impact socio-économique) auquel nous avons ajouté la performance vis à vis de la société (développement durable).

L’une des trois coopérations est celle développée à Marseille entre l’association Boud’mer et le MCEM, musée de société consacré aux civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. L’association Boud’mer concilie la protection de l’environnement marin et la démocratisation de son accès. Ses 300 adhérents partagent l’usage d’une dizaine de barques traditionnelles et sensibilisent le grand public au patrimoine marin : sorties thématiques,  expositions. Le MCEM lui a confié depuis 2006 l’entretien, la conservation et la mise en valeur de la barque L’Espadon. La coopération s’avère intéressante pour les deux parties. La barque est mieux conservée en mer, accessible tout au long de l’année et les coûts sont partagés. Elle contribue à mettre en valeur et protéger le patrimoine marin local.

Chacune de ces coopérations s’avère performante. Elles sont un moyen efficace pour accompagner la réalisation des missions du conservateur : amélioration de l’accessibilité du patrimoine, de l’intervention en zones rurales ou en zones urbaines sensibles. Elle lui permet de faire appel à des compétences externes complémentaires. Les coûts sont partagés sur des modes de financements diversifiés : bénévolat, financements publics, participation, commerce.

Cette coopération renforce tout autant les acteurs économiques dans leur choix de développement durable. Ces entreprises, moins lucratives à court terme, ont difficilement accès au front de vente pour se faire connaître et  au capital risque pour investir. L’accès à un patrimoine leur permet de bénéficier d’un capital culturel, d’une notoriété ou d’une marque de reconnaissance qui n’est pas indexé sur leur lucrativité à court terme.

Les intérêts sont partagés. La coopération se fait non pas sur la capacité des acteurs à faire fructifier le patrimoine mais sur leur capacité à contribuer aux politiques patrimoniales : conservation, protection, mise en valeur.

Ces diagnostics, diffusés dans le milieu professionnel par l’agccpf via son site internet www.ateliermuseal.net, contribuent à valoriser le potentiel du patrimoine culturel en tant que facteur de développement économique durable (article 10 de la convention de Faro).

Le diagnostic a mis en évidence que les trois expériences partagent aussi une fragilité structurelle : ce sont des initiatives de développement durable peu durables. La coopération repose sur des liens de confiance et peu sur une régulation contractuelle des rapports public privé. Paradoxalement, leur réussite peut rapidement les déstabiliser faute de cadre de régulation bien établis.

Il existe peu de références sur le plan juridique et scientifique permettant de réaliser ces coopérations en toute transparence (indicateurs, critères) et de manière démocratique (cadre de régulation). La coopération entre acteurs privé/public du patrimoine demande à être davantage balisée. Chacun a cherché à adapter des cadres déjà existants, à passer des conventions bipartites, à donner des habilitations ou des agréments pour faire au mieux.

Ce manque de référentiels freine le développement de coopérations entre les acteurs publics et privés du patrimoine. Le passage de référentiels si bien identifiés – les politiques publiques du patrimoine – vers des processus de coopération avec le privé représente d’autant plus une prise de risque. Peu de conservateurs envisagent aujourd’hui la coopération comme un élargissement possible de leur mode d’action.

La convention de Faro est en ce sens essentielle. Elle engage les parties à développer les cadres juridiques, financiers et professionnels qui permettent une action combinée de la part des autorités publiques, des experts, des propriétaires, des investisseurs, des entreprises, des organisations non gouvernementales et de la société civile (Article 11) en échangeant, en développant, en codifiant et en assurant la diffusion de bonnes pratiques (article 17).

En février 2009, fort de ces trois diagnostics, le conseil départemental de concertation des Bouches-du-Rhône, réunissant une centaine de personnes représentantes de la société civile répartie en quatre collèges, a adopté à l’unanimité cet article 17 de la convention de Faro comme recommandation aux élus du Conseil général des Bouches-du-Rhône.

Prosper WANNER.

SCOP PLACE février 2009 : Contribution à l’ouvrage du Conseil de l’Europe « Le Patrimoine et au delà » portant sur la convention cadre sur la contribution du patrimoine culturel pour la société, dite « convention de Faro ».

Article de référence : article 10 de la convention de Faro «  Patrimoine et économie ».

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