DESSOUS-DESSUS Habiter le sol de Saint Louis – Consolat Récit # 4

Une lettre mystérieuse, la grotte inondée, l’eau potable des bateaux, les femmes du sud et le séminaire squatté…

La lettre à indices

On s’est réuni comme d’hab, au bar Terminus, soleil et café, Charly nous accueille toujours avec le sourire.

Charlotte, habitante de la Calade, a reçu un petit cadeau, très soigneusement emballé, mode missive à indices : des photos et une lettre de son voisin Guy. Une autre aventure commence… On est toustes excité•s, on se prend un peu pour Columbo ! Elle nous lit la lettre…

En l’an 2000, Laure Giraud était peintre, elle habitait dans l’actuelle maison de Charlotte, et en période faste, expo et vente, elle accumulait des photos et des croquis de la Calade et ses alentours avec un but artistique. Très intéressée par mes souvenirs, elle m’a posé beaucoup de questions autour de l’hôpital Houphoüet-Boigny et du couvent des Frères Blancs, congrégation espagnole bien implantée à la Calade […]. Un soir que nous parlions des sources et des cours d’eau cachés dans le quartier, elle m’a indiqué sa visite à la grotte des Frères, au fond de l’impasse Bertrand, sous la maison de Mme Machado. Lors de sa visite chez Mme Machado, elle n’avait pas son bon Nikon. Je me souviens avoir promis à Laure de lui ramener des photos, mais peut-être que finalement j’ai simplement offert les négatifs à Laure avant Noël (moi avec mon petit Kodak je n’ai eu finalement que peu de problèmes, grâce à ma lampe de poche!).

J’ai laissé deux photos à Mme Machado

Extrait de la lettre de Guy à Charlotte

Mme Machado m’a raconté par bribes ses préoccupations à propos de cette crypte : visites nocturnes depuis son veuvage, disparition des objets liturgiques et ex-voto, certains très récents, jusqu’au début des années 90′. Elle était fière d’avoir sauvé le St Antoine de Padoue. La caverne a servi aussi d’abri, lors des bombardements de la libération de Marseille, en septembre 41′.

Les Frères de la Calade

Alors que Agnès et Samanta restent très motivées à trouver tout ce qui peut rester de sous-terrain et passages secrets dans le quartier, cette histoire est une magnifique invitation pour aller chercher la grotte! Et la lettre donne aussi d’autres infos… Guy nous informe que le bâtiment a été laissé vide après le départ des frères en Afrique dans les années 40 et 50) et qu’il avait ensuite été utilisé en tant que bâtiment municipal à divers usages sociaux jusqu’à sa fermeture autour de 2010.

Dans une de leurs balades d’explo, elles étaient justement allées à l’actuelle école des infirmières (ex hôpital Hophouët -Boigny) pour chercher des pistes sur l’histoire du grand bâtiment vide dit du Petit Séminaire, à côté de Campagne Lévêque. La dame du centre de documentation leur avait parlé du livre d’Etienne Calamai “Le Cap Janet”. Charlotte, décidément bien documentée, était venue ce jour là avec le même livre!

Effectivement, on trouve la partie manquante de l’histoire, qui fut pourtant notre point de départ : le Mouvement des Squatters.

Après la guerre, de 1946 à 1950, une dizaine de familles s’installèrent en squatters dans certaines pièces inoccupées, malgré les Frères qui ne voulaient pas les faire chasser par la force mais qui eurent beaucoup de mal à négocier leur départ“.

Nous avons ainsi la confirmation que c’est bien ce bâtiment qui complète le triangle des 3 squats, conjointement avec le château Consolat et la Villa Tornesi. Et c’est le seul encore debout… (lire récits précédents).

La maison des frères de la Calade, extrait du ivre d’Etienne Calamai

Puis on s’est mis en marche pour aller à la recherche de la grotte, guidés par Jean-Louis, natif de la Calade et aujourd’hui habitant du Cap Janet. La maison ne semble plus être habitée. Apparemment, l’entrée à la grotte est par là… On reviendra parler avec les voisins et poursuivre nos recherches aux archives.

Les femmes du sud

En marchant au quartier de la Calade, on a fait une étape dans l’association Femmes du Sud, un groupe de femmes motivées, actives à la calade depuis de nombreuses années pour s’entraider mais aussi sortir du quartier par des randonnées ou des sorties culturelles. Elles gèrent une friperie à très petits prix..

Nous avons toustes trouvé notre petit bonheur…

La balade a continué en direction de la Campagne Servaux, où nous attend l’une de nos rencontres de bord de trottoir! La descente est raide, c’est le chemin qu’empruntent chaque jour les collégiens pour se rendre au Collège Arthur Rimbaud.

La campagne Servaux

L’histoire est, encore aujourd’hui, très liée à la réparation navale. Paco Jimenez, habite là depuis longtemps, et est maintenant propriétaire d’une partie de cet ancien domaine très tôt devenu base arrière du port. Il nous raconte.

“Au départ Servaux faisait l’approvisionnement en eau potable des bateaux, puis, de la vaisselle, des transats (chiliennes). Tout tournait autour des besoins de la navigation. Il y avait aussi une corderie, avec une machine qui testait la tension des cordes. En 1984 la famille voulait me vendre le château, je n’avais pas assez d’argent, mais j’ai acheté la partie menuiserie. Je suis né à Melilla, en Espagne. J’avais 26 ans dans les années 60, quand je suis arrivé à Marseille, ils m’ont embauché tout suite comme manoeuvre. J’étais ébéniste de formation, et au bout de quelques mois le contremaître l’a vu et il m’a mis à travailler avec un architecte. Et c’est là, qu’a démarrée ma carrière. L’année suivante je suis allé chercher ma fiancée en Espagne, on s’est marié et on est revenu en France. Elle était couturière, au début c’était très dur pour elle, elle ne connaissait personne, elle parlait pas la langue, on disait, l’année prochaine on rentre en Espagne, puis les années sont passées, on a fait des connaissances, on a eu 3 enfants et on est resté.

On se promène dans la campagne Servaux.

Dans les années 80, un local qu’on appelait le Co2, remplissait les bouteilles de gaz pour différentes utilisations dans l’industrie. A côté il y avait une serrurerie industrielle. Juste en face, il y a eu un projet de supermarché, qui n’a pas eu les autorisations à cause des dimensions du pont ferroviaire, il fallait une entrée et une sortie. Dans le bâtiment contigü il y avait des douches, et des vestiaires pour les femmes qui travaillaient dans les cordes, elles étaient une trentaine. Et un peu plus haut un atelier mécanique de réparation navale.

L’ex Campagne Servaux accueille toujours des ateliers de réparation navale, ici un atelier de peinture d’Alstom

Paco continue son récit :

La menuiserie a été reprise par mon fils, André. Il avait fait des études de serrurier, je l’avais embauché comme serrurier, mais avec tout ce qu’il y avait à faire avec le bois, je l’ai formé et après il m’a remplacé. Mais il est décédé très jeune, à 52 ans, donc j’ai repris le travail à 65 ans jusqu’à 80 ans. La menuiserie comprenait un local de montage, un local de vernissage et un local pour les outillages. Quand j’ai arrêté, j’ai mis tout en location et maintenant il y a diverses activités, plutôt artisanales.

Nous n’avons pas complètement compris qui est à l’origine de la société Servaux, qui semble avoir été créée dans sa forme initiale sous forme coopérative en 1912 par des armateurs et dans un besoin initial militaire (Servaux veut dire “SERvice AUXiliaire de l’armement”. Un des premiers besoins semble avoir été l’eau! Et ce qui semble attesté c’est qu’à Campagne Servaux au départ on mettait de l’eau douce en bouteille pour les navires. Au fil du temps cette fonction de super fournisseur s’est diversifiée vers d’autres types de produits (le mobilier, la vaisselle, le matériel de sauvetage et de ravitaillement) et d’autres types de bateaux . Au détour des souvenirs c’est l’image du “transat” qui est à plusieurs reprises revenue. et ils ont fini par devenir fabriquants de bateaux. Ils ont construit aussi les 6 maisons à l’arrière de la campagne, pour les contremaîtres. On rencontre l’un des actuels habitants, dont les parents ont pu racheter la maison quand l’entreprise a vendu en morceaux la campagne. Aujourd’hui Servaux qui n’est bien sûr plus un coopérative mais une grosse entreprise, se présente comme le leader mondial des services maritimes (les services pouvant désigner des biens comme des prestations). Leurs gammes d’interventions sont extrêmement vastes, puisqu’on trouve toujours le métier de départ de répondre à tout besoin d’un bateau en navigation n’importe où dans le monde, et maintenant ça veut dire beaucoup beaucoup de choses, entre marine commerciale, militaire et depuis peu un positionnement très affirmé sur le yachting !

C’est ainsi qu’ils sont aussi devenus des “rentiers du littoral “en développant sur l’Estaque et Saumaty des services liés aux besoins de la plaisance. Achat, vente, location de bateaux , ils commercialisent également des places au port et des espaces d’hivernage. Nos paysages locaux ont ainsi évolué au fil de leur croissance, avec depuis 2007 la construction de plus de 60 000 m2 d’infrastructures portuaires entre Mourepiane et L’Estaque. Comme quoi le commerce de l’eau converse avec le commerce de la terre…

Mais retrouvons Paco et son histoire.

Après, j’ai perdu le marché des bateaux, il n’y avait plus besoin de cales, à cause des containers. Il a fallu que je me trouve une autre sortie économique. J’ai rencontré une personne qui était maçon qui m’a présenté un architecte. Il est devenu l’architecte des Grands Moulins Storione, propriétaire des boulangeries Banettes. Ensemble on a fait le mobilier de toutes les Banettes de Marseille !

On a presque fini la visite, mais Mlouka veut un tour de manège portuaire…

On finit en profitant joyeusement de l’hospitalité de Paco, merci Paco!

Tourisme à Marseille : et si on élargissait la focale ?

En dix ans , à Marseille, le nombre de touristes a doublé, tout comme le nombre d’arrivées aéroport, de résidences secondaires et d’hôtels affiliés à des groupes (2/3). Le nombre de restaurants étoilés a quadruplé, le nombre de chambres haut de gamme a triplé (4 et 5 étoiles) et les locations meublées ont augmenté de moitié sur la métropole. On observe donc une forte montée en gamme de l’offre marseillaise d’accueil touristique.

La poursuite de cette montée en gamme est pour autant difficilement conciliable avec les Accords de Paris selon l’Ademe qui recommande un tourisme de proximité plus sobre.

Cette politique touristique ne prend pas en compte une grande part des personnes séjournant sur place pour étudier, travailler, se former, comme apprentis, comme futurs médecins, en saisonniers, en résidence artistique, pour une mise à l’abri, en transit pour s’installer, en squat faute de logement, en accompagnant leur proche hospitalisé et bien d’autres. 

Ces personnes ont en commun d’être indispensables à l’économie locale, (artisans, entreprises, services publics, …) ainsi qu’au commerce de proximité tout comme d’avoir un impact moindre sur le climat et le cadre de vie (séjours longs, proximité) .

Tous ont en commun le besoin d’être accueillis de manière digne, or tous ne bénéficient pas du même traitement faute d’une stratégie concertée. 

D’où la démarche d’une coalition d’organisations de la société civile locale d’appeler à des assises marseillaises de l’hospitalité au moment où la municipalité a récupéré la compétence tourisme et prône un développement soutenable et populaire de ce secteur. 

C’est un enjeu d’humanité (un accueil digne) et de transition écologique (un accueil moins carboné et plus local) qui, comme le montre les premières données collectées, est à notre portée.

Présentation publique de cet appel le jeudi 22 février de 18h à 19h30 à l’auditorium du Musée d’Histoire de Marseille (Centre Bourse – entrée libre). 

Vous pouvez librement rejoindre cet appel comme collectif, organisations ou professionnels en nous contactant à hospitalite-marseille@proton.me.

Photo : Bruno Gelsomino, 2023. En Provence, le Cyprès serait un signe d’hospitalité pour le voyageur.

DESSOUS-DESSUS Habiter le sol de Saint Louis-Consolat Récit # 3

Des camps, des squats et d’autres connexions possibles…

Quand on s’est donné rendez-vous au bar du Terminus au bord du Chemin de la Madrague Ville à la Calade, c’était d’une certaine manière pour remercier ce bar de quartier de l’accueil fait à Sam et Julie lors de leur petite dérive à 2, il y a quelques semaines. Mais c’était aussi pour poursuivre cette relation ténue qui rend vivant un voisinage : être à la fois à l’écoute et en recherche des lieux où un échange peut émerger, où tu te sens en “hospitalité”, en possibilité d’être mutuellement “hôtes” (le bar est l’hôte qui accueille, nous sommes les hôtes accueillis). C’est comme une sorte de recherche inconsciente d’empathie, de vibration, d’énergie.

Il faisait beau, la mini terrasse a semblé changer de taille, devenant plus vaste à chaque nouvelle arrivée! Dans cette situation à la fois si simple et un peu étonnante pour tout le monde, on a donc pris le temps, beaucoup causé, un peu marché, et les sujets abordés furent riches et abondants.

On avait aussi amené quelques livres avec nous, surtout deux : l’un qui traverse la question de l’accueil en France des populations Rroms, entre “aires d’accueil”, “squats”, “bidonvilles”, “camps”, et l’autre de récits d’habitants réunis par Nora Mekmouche autour du chemin de la Madrague-ville, ce vieux chemin qui du lycée nord descend en serpentant la pente jusqu’à Arenc. On se dit que de temps en temps on pourra s’en lire des fragments…

Extrait témoignage de Louis qui a grandi puis travaillé aux Abattoirs, Sur le chemin de la Madrague Ville, Nora Mekmouche

Agnès, la vache à Vetter et le camp des taureaux…

« Il y avait une passerelle, où toutes les bêtes passaient pour aller aux abattoirs. Mais oui, les abattoirs, c’est un camp des taureaux !”

C’est Agnès qui nous raconte une première histoire à tiroirs… Agnès a donc grandi dans l’une des grandes campagnes du quartier squattées à la fin de la guerre. Tout en vivant de manière très communautaire avec les enfants des familles nombreuses qui partageaient cette aventure, il y a bien des moments où l’horaire était fermement donné pour rentrer dans la pièce qui servait d’appartement. Agnès nous raconte alors que l’excuse donnée par son frère à ses retards était… une vache… La vache à Vetter, la vache qu’il fallait traire pour donner un coup de main au fermier voisin, au copain qui tous les jours devait prendre soin des bêtes. La vache à Vetter nous rappelle une nouvelle fois cette ville-campagne du nord de Marseille, entre port, industries, villégiature bastidaire et habitat précaire. 

Et les vaches ne racontent pas que les fermes, puisque le second souvenir que nous confie Agnès est celui de leur cris, alors que les animaux sentant l’odeur du sang à l’approche des abattoirs se mettaient à hurler ensemble sur la passerelle qui enjambe le chemin. Souvenirs de sons, souvenirs d’odeurs qui tissent toujours les anecdotes troublantes de l’enfance, comme aussi ce taureau échappé de son camp de la mort pour trouver refuge dans la cour de l’école de Marc, dont le directeur, M. Colonna, était un rescapé des camps…

L’ hôpital pour creuser la figure du “camp” et repenser à l’étymologie d'”hospitalité”

On s’est alors déplacé devant le Lycée professionnel de la Calade. On aperçoit à la fois les barres de Campagne Lévêque et le petit Séminaire toujours en place, et qui à plusieurs reprises est devenu le squat-refuge de familles Roms déplacées. On commence alors à faire des liens et à évoquer l”histoire complexe de l’Hôpital Houphouët-Boigny qui jouxte le lycée, et qui bizarrement nous ramène lui aussi à des histoires de camps, tout en déclinant l’une des étymologies d'”hospitalité”.

Il y a peu j’ai été hospitalisée et un marcheur m’a dit de regarder dans le dictionnaire historique de la langue française à la racine des mots hospitalité et hôpital, surprises à la clef. Il est utilisé pour dire “égaliser” et surtout “compenser” et dans ce traitement d’égal à égal, il donne hostis racine de hôte et de toute la chaîne de l’hospitalité. Il donne aussi hostes, racine de ennemi et de toute la chaîne des hostilités. Après 1500 ans d’usages et de glissements de sens dans la chaîne du verbe hostire, nous sommes passés de “égaliser/composer” à “antagoniser” et aujourd’hui ces sens, si diamétralement opposés, dessinent ” notre “ennemi intérieur” , fantasmé, nos barbares, pour qui décidément nous oublions les usages de hostire.

Christine Breton, Petits fronts de guerre sociale, Récits d’hospitalité #7, éditions communes
Chronologie d’un camp hospitalier en zone portuaire
Le camp anglais : en 1926, au 162 Chemin de la Madrague-Ville dans une ancienne bastide et son parc, ouvre le « British Merchant Seamen’s Hospital » dit Hôpital anglais et destiné à l’hospitalisation des marins de toutes les nationalités. Néanmoins, en 1932 l’hôpital est fermé et reste inoccupé jusqu’en 1940, date à laquelle il servira pour les troupes qui transitent par le canal de Suez pendant la seconde guerre mondiale. 
Le camp allemand : en 1943, dans cet hôpital s’installe le camp « Rommel ». L’armée allemande construit les bunkers et les galeries qui relient directement l’hôpital à la base de sous-marins (porte 4 du port) et au système de commandement. Si on regarde sur la carte, l’hôpital se trouve à seulement 10 minutes à pied de la porte 4. Des explorations sous les tunnels pour la prochaine balade? Leur existence reste à vérifier …
Le campement des ouvriers sans papiers : après la fin de la guerre, l’hôpital est désaffecté et l’ex camp Rommel va servir de campement pour les ouvriers nord-africains célbataires en situation irrégulière et qui seront à l’origine de la création du Cana (centre d’accueil nord africain) en 1950.
Le camp de transit des juifs : en 1949, le bail de l’hôpital anglais est cédé à  l’association américaine « American Joint Distribution Committee » qui organise le transit des juifs d’Afrique du Nord (Maroc et Tunisie) vers la Palestine via le camp du Grand-Arenas. Voir récit #2 “Le Grand Arenas” https://www.hoteldunord.coop/dessus-dessous-recit-2-du-mille-pattes/
Le centre des contagieux et infectieux : suite à une épidémie de variole difficile à gérer, l’Assistance publique rachète l’hôpital en 1952. Associant îlot de verdure, isolement et connections à la ville-port, il devient l’hôpital de la Calade, destiné à isoler les patients suspects d’être contagieux et à traiter les affections de haute virulence. En 1954, il est demandé de ne plus utiliser le terme “hôpital” mais d’y préférer “centre”. Les maladies tropicales y seront également traitées à partir de 1972. Puis en 1978, le centre est entièrement rénové et reprend en grande pompe le terme d’Hôpital spécialisé dans les affections tropicales et les maladies infectieuses. Il prend alors le nom d’Houphouët-Boigny, en l’honneur du Président de la Côte d’Ivoire qui est intervenu pour en encourager la création. Il deviendra également un hôpital de jour pour les malades atteints de SIDA, ce qui lui vaudra le surnom de l’hôpital des sidéens.
En 1995, les services de l’hôpital Houphouët-Boigny ont été transférés à l’hôpital Nord et les locaux, longtemps inoccupés, ont été vandalisés. Depuis 2006 il devient l’Institut régional des Formations Spécialisées en Santé.

Source Association des Amis du Patrimoine Médical de Marseille

De ces échanges autour des histoires des mots et des lieux, on se dit qu’il faudra creuser la figure du “camp” dans l’histoire de l’accueil à Marseille et du droit d’habiter. On verra d’ailleurs plus tard que quand on commence à parler du projet de village d’insertion des familles roms à Saint Henri, l’imaginaire du camp comme sorte de miroir de celui du squat est très présent. S’y apparentent aussi toutes les histoires en interstices des cités d’urgence et de transit.

La Campagne de l’Évêque

Alors c’était elle la 3ème grande campagne qui fut occupée par ce Mouvement des squatters naissant. Les barres un peu rose et très imposantes ont gardé la trace de cet évêque Mazenod qui a tant marqué l’urbanisme de la ville du 19ème siècle. L’occasion de remonter un peu le temps.

L’évêque Eugène de Mazenod acquiert cette vaste campagne en 1839. Elle devient la résidence rurale de l’évêque et son “ermitage” : « Oh que nous sommes bien à la campagne… il me semble que l’on m’a ôté un quintal de plomb de dessus les épaules » dans une lettre à sa mère. On peut retenir de Mazenod son rôle d’urbaniste… Evêque au coeur du 19ème siècle industriel, la population double pendant son épiscopat. Il construira pour accueillir cette nouvelle population majoritairement ouvrière et catholique 34 églises et créera 21 paroisses, planifiant ainsi l’organisation du territoire autour des églises qui agglomèreront les fameux noyaux villageois marseillais. Il est quand même amusant de réaliser que c’est dans son ancienne propriété que cette énorme transformation des grands ensembles va débuter!

“L’espoir des cités : en 1954, à Marseille. Rozan et Eigger gagnent le concours pour construire 800 logements au centre de la Campagne-l’Evêque. Mais ces logements, qui étaient prévus en petits immeubles intégrés aux pentes dans les premiers plans de masse, deviennent des remparts alignés sur l’axe des écoles définies par Eigger et par… les économies imposées. Pourquoi ce monopole constructif laissé à Eigger, auteur aussi du lycée Nord et de l’école sur la campagne Consolat? Pourquoi les historiens de l’architecture ne disent-ils pas que l’architecte a fait ses classes dans l’administration coloniale et les villes africaines? “On se croirait à Alger ” dit Ali, un ancien du Cana, levant la tête sous la barre-rempart. Mais le rempart de quelle ville?”

Christine Breton, L’Eglise Saint-Louis, Le Maire, l’Evêque et le Squatter mars 2010

Pour mieux comprendre ce qui s’est joué dans ce glissement vers des architectures aussi massives, on se promet de regarder ensemble le documentaire Au nom de l’urgence de Alain Dufau qui raconte cet après-guerre où militants, pouvoirs publics, architectes mais aussi industriels qui constitueront bientôt le fameux monde du BTP se mobilisent, conversent mais aussi s’affrontent sur les solutions à apporter au manque de logement à Marseille. Aujourd’hui Campagne Lévêque souffre de la plupart des maux des grandes cités, avec une place du squat version “marchand de sommeil” conséquent, une centaine d’appartements sur 800 (on trouve cet usage de locations abusives aux plus précaires plutôt dans les co-propriétés dégradées). Le quartier est depuis 2023 à l’orée d’un projet de renouvellement urbain piloté par l’ANRU.

La grande barre de 40 mètres de haut et 275 de long domine les hauteurs de Saint-Louis (15e) depuis plusieurs décennies. Elle est visible de très loin, bloquant l’horizon d’un trait gris béton. Elle a longtemps été considérée comme la plus longue barre construite d’un seul tenant en Europe. Un record non homologué qui positionne la cité gérée par 13 Habitat, le bailleur du département, parmi les candidates à ce qu’on appelle désormais le renouvellement urbain.

Pour continuer à lire https://marsactu.fr/la-longue-barre-de-campagne-leveque-candidate-a-une-mutation-dans-les-grandes-largeurs/

De la terre et des Terrin

On finit par partir marcher ! Direction la Calade, accompagné•es par l’un des récits du livre de Nora Mekmouche.

C’est vrai que je connais un peu ce quartier, la Calade, puisque j’y travaille. La Calade est un mot provençal qui signifie le mont, je crois. La calade provençale c’est le poème des pierres. Ce village était à un moment surtout habité par des dockers, des pêcheurs, ou travaillaient à Terrin, aux chantiers ou à la réparation navale. Ils habitaient dans les petites maisons et petits cabanons que l’on voit encore à la Calade. A partir de la Calade le chemin de la Madrague Ville a changé. C’était le petit chemin qui est sur votre gauche quand vous remontez le chemin de la Madrague Ville. Ce grand boulevard n’existait pas avant et n’allait pas du tout vers le Lycée Nord, de toute façon le lycée nord n’existant pas encore. A l’époque c’était vraiment un chemin et il y a encore ce petit morceau qui reste.

Extrait témoignage de Christian, Sur le chemin de la Madrague Ville, Nora Mekmouche

Au bar Terminus quasi tous les habitués ont travaillé ou travaillent encore dans les activités qu’évoque Christian, et les devantures des maisonnettes racontent souvent le travail portuaire ou industriel. Les noms de familles perdurent aussi et Terrin apparaît dans la conversation comme un propriétaire puissant et peu scrupuleux, qui urbanisera de manière spéculative ses … terrains…

C’est ainsi que petites et grandes histoires se tissent, l’anecdote de la bataille de la petite copro de la Calade où vit Marc conduisant finalement à la grande épopée de l’industrie navale marseillaise puis nationale, sur les pas de la famille Terrin. A partir d’un premier petit atelier de réparation fondé en 1890 par un ouvrier de la marine, Augustin Terrin, la famille se constituera un empire industriel sous le nom de la SPAT (Société Provençale des Ateliers Terrin), avant sa chute à la fin des années 70 qui marqua fortement ces quartiers. Il y a fort à parier que nous retrouverons les Terrin dans de prochaines balades…

En chemin on fait aussi de jolies rencontres féminines (on ne vous cachera pas que le Terminus est plutôt fréquenté par des messieurs même si nous avons été fort bien reçues…) autour d’un nouveau petit jardin partagé installé par la LOGIREM sur le délaissé inconstructible situé au-dessus du tunnel SNCF.

Nassy nous raconte avec pourtant un magnifique sourire que suite à un dégât des eaux dans son appartement dans la tour juste à côté, elle est à la rue depuis 3 mois avec sa famille. Le jardin lui permet de garder le lien avec les lieux. Leyla nous raconte son quotidien avec les arbres, et les chats qui lui sont nécessaires pour se sentir habiter quelque part.

Le squat comme pratique d’autoconstruction

Squatter est lié à l’existence de la propriété. La plupart des squats révèlent non seulement un manque de solution de logements pour certaines personnes mais souvent des situations de “vacance” côté propriétaire. Dans le cas de Campagne Lévêque le squat prolifère à partir de logements vides, la plupart des squats communautaires s’établissent dans des bâtiments abandonnés ou laissés vacants sur de longues périodes. Et souvent ces lieux ou espaces vacants appartiennent à de “grands propriétaires”, privés mais parfois aussi publics. La SNCF est un grand propriétaire foncier et pourvoyeur de délaissés aux alentours des voies de chemins de fer. Après les dessus du tunnel devenus jardins, Marc nous amène découvrir un fond de vallon dont une bonne part est propriété de la SNCF.

Le petit labyrinthe de l’autoconstruction. C’est la solidarité de voisinage qui va permettre à une famille, installée depuis 2 générations sur un terrain SNCF, de trouver un accès plus praticable que ce petit chemin d’usage.

Ces terrains furent ainsi occupés eux aussi à l’après guerre non pas pour squatter des maisons mais plutôt pour en construire. C’est l’auto-construction, celle des bidonvilles mais aussi de nombreux quartiers qui se sont urbanisés puis peu à peu viabilisés à partir de pratiques d’occupation et de construction.

On évoque alors les aspects plus juridiques qui permettraient de donner des droits proches de celui de la propriété à des personnes pouvant prouver qu’ils vivent sur un foncier depuis au moins 30 ans (prescription trentenaire). On se dit qu’il va vraiment falloir améliorer nos connaissances juridiques, à la fois sur les définitions (squat, occupation, refuge, réquisition…), les lois et règlementations qui ont orchestré ces définitions aux fil du temps, et toujours approfondir la question de la propriété.

Des Squats pour vivre

Au fur et à mesure de nos balades et de nos conversations, on voit bien que le terme de squat comprend vraiment beaucoup de situations très diverses. Ce jour-là on espérait aussi marcher avec Zidane. Zidane c’est Julie et Samanta qui l’avaient rencontré en se baladant pour préparer un peu l’exploration. Il gardiennait le petit séminaire de la Campagne Lévêque, justement suite à l’expulsion de familles roms. En causant, on s’est rendu compte de son expertise en matière de situations, de règlementations et dans les manières de faire aussi, tant du côté des autorités que des personnes squattant. On devine aussi qu’il connaît le sujet pour avoir lui-même été à la rue, ou accueilli ou louant un logement en fait squatté . On repartage alors un peu de son témoignage.

J’arrive en même temps que la police. Quand la police va virer les squatteurs, nous on sécurise le site. On a plein de sites en ce moment, à la rue d’Aubagne, à Félix-Pyat, au Bd National, à St Charles, à la Capelette.

Même des fois, il y a des français parmi les squatteurs. A la rue Curiol, il y avait 7 jeunes filles et garçons étudiants, avec aussi une famille de nigérians et deux familles algériennes. Ils étaient mélangés mais ils habitaient chacun un appartement. Ils habitaient à l’intérieur comme une famille, ils étaient gentils, ils faisaient à manger pour tout le monde, aussi pour la rue, avec la récup des légumes du marché. Mais ils ont été dégagés, c’est vraiment triste, parce que c’est des jeunes en fait. Ils ont pris l’électricité chez le voisin. Même l’huissier a dit “je ne sais pas pourquoi ils les ont virés”.

A La Capelette, c’était des jeunes aussi, ils sont restés 6 mois dans une maison avec piscine, ils ont laissé tout propre. La police est venue les expulser.

Même s’il y a des gens qui ont des papiers, ils n’arrivent pas à payer le loyer. Avec le Rsa tu ne peux pas avoir un appartement, personne ne veut te louer. Déjà moi, je suis parti, il n’y a pas longtemps, pour changer d’appartement et ils m’ont demandé un garant. Je travaille, j’ai montré les fiches de paie, les quittances de loyer, mais il leur faut un garant, il faut que tu touches 6000 € pour avoir un appartement. Moi, si je n’ai pas d’appartement je vais squatter. Il faut trouver un moyen pour les gens qui payent. Si t’as pas de parents riches, qui font garants…

Mais les roms, ce n’est pas pareil, ils détruisent le bâtiment, ils allument le feu à l’intérieur, ils enlèvent les métaux…

Extrait conversation avec Zidane (le prénom a été changé), décembre 2023

Des enfants roms et des UPE2A (Unité pédagogique pour les élèves allophones nouvellement arrivés)

Arrive ainsi la question bien clivante des occupations par des familles roms. Et alors là on se rend compte que l’une d’entre nous est elle aussi experte par expérience… Tania, voisine du quartier et enseignante, a eu, pendant quelques années, un poste unique en France “fléché roms” mis en place par la Préfète à l’égalité des chances et le Ministère de l’Éducation Nationale, mais sous le chapeau du Ministère des affaires étrangères. A cette époque elle a été amenée à intervenir, dans le cadre de l’UPE2A, sur plusieurs écoles où des enfants de la communauté rom étaient scolarisés.

Le poste “fléché roms” était un poste pour dire qu’ils faisaient quelque chose en direction des élèves roms. J’étais supposée suivre s’ils étaient expulsés, sauf qu’ils expulsent les campements l’été, en général, et qu’on me faisait intervenir en partie dans des écoles où des temps partiels (UPE2A) étaient manquants. J’enseigne toujours aux primo-arrivants, ce n’est plus uniquement des roms, mais des enfants de tous les pays.

Il y avait des histoires incroyables, il y avait un enfant qui n’avait pas de parents, et il y en avait qui avaient faim, on leur disait qu’on leur donnait un petit croissant, s’ils venaient à l’école… après ils voulaient juste repartir et ils étaient en panique enfermés dans l’école, ça donnait des situations difficiles. Mais la plupart, ils étaient contents de rester au chaud et d’avoir un repas à midi. Jane Bouvier, avec son association l’École autrement, essaye de demander au plus vite à la Préfecture le droit d’accès à la cantine.

La situation est compliquée en ce moment, on a de plus en plus d’effectifs et ils ont baissé le nombre de professeurs. Il y a un collectif d’une quarantaine d’enseignants en UPE2A, en collège et dans le primaire qui s’est créé, car les conditions de travail et d’accueil ne sont plus possibles. On a des problèmes de locaux. Il peut arriver d’enseigner un peu dans les couloirs, dans la salle polyvalente, dans le gymnase, dans des locaux minuscules. On donne en ce moment à certains élèves que 2h de cours par semaine, au lieu de 9h minimum prévues par la loi, chose qui ne sert à rien. Le budget annuel alloué par UPE2A est bien plus bas que dans d’autres villes (90 € à Marseille, 350 € à Aix, 500 € à Lyon ).

Extrait de la conversation avec Tania, balade du 27 décembre 2023

A lire: https://www.mediapart.fr/studio/portfolios/militer-autrement-jane-bouvier-met-les-enfants-roms-lecole

A regarder: https://www.fondationdefrance.org/fr/cat-enfance-education/a-marseille-ne-laisser-aucun-enfant-a-la-porte-de-l-ecole

Un village d’insertion à Saint-Henri ?

C’est alors que tous les fils de ces premières explorations commencent à se tisser entre eux. Depuis notre premier rendez-vous et l’envie de marcher dans les pas des premiers squats communautaires de l’après-guerre, nous avons appris l’existence d’un projet de village d’insertion des familles roms déplacées, lors de la construction du tramway sur le périmètre Euromed. Ce village serait construit à Saint Henri, sur l’ancienne aire de repos de l’autoroute A55.

Un tel projet prête forcément à polémiques locales. On dégaine alors le second petit livre qu’on avait amené pour suivre la trajectoire concrète d’une famille rom dans Marseille et aussi regarder les évaluations chiffrées du coût de l'”accueil”.

Et on se dit qu’une application très concrète du travail de connaissance partagée, démarré avec ces balades, sera très certainement de contribuer à élaborer une approche plus complexe, d’enrichir les discussions avec nos voisin•es et de muscler l’hospitalité du quartier !

Extrait du livret Les élus locaux face à la résorption des squats et bidonvilles, Collectif RomEurope, 2019

DESSUS-DESSOUS Habiter le sol de Consolat- Récit #1

1000 pattes du 11 octobre 2023

Nous étions nombreux.ses comme une bande de lycéens. On a trouvé notre place en envahissant le Corsaire, le seul espace de sociabilité que les élèves du lycée Saint Exupéry peuvent investir vraiment à proximité de leur grand, très grand établissement.On avait compté sur le petit kiosque devant les terminaux de bus mais il était fermé, alors va pour le café-canette sur la chouette terrasse du snack.

On pensait se rappeler ce premier échange dense, déjà complexe, en illustrant les photos de Léone. 

Léone elle vient ici pour la première fois, elle est sans doute la plus jeune, elle fait des études de journaliste tout en travaillant à la Revue dessinée et elle commence à travailler sur les squats, car elle en a côtoyé beaucoup et qu’elle en a marre d’en entendre parler dans les médias surtout à la fin de la trêve hivernale et au moment des expulsions. Et donc Léone elle fait aussi des photos. Sauf que internet parfois ça bugge, que ses photos sont maintenant bien loin de Marseille, qu’on aura le plaisir de les découvrir plus tard, et que maintenant il va falloir trouver une manière d’inventer nos images, juste avec nos souvenirs!

IMAGE#1 : Terrasse du Corsaire, une vingtaine de personnes en cercle, chaises rouges, lumière pleine de soleil. On se lance…

On se rencontre donc pour la première fois avec l’hypothèse qu’on pourrait peut-être marcher un bout de chemin ensemble cette année. Au départ il y a la croyance de quelques un•es que la marche participe à tisser du voisinage, du lien entre des initiatives, à activer de la transmission et que tout ça c’est modeste mais important. Et aujourd’hui on se propose de commencer une exploration avec l’idée que repartir de l’histoire longue des luttes et des expériences pour le logement à Marseille pourrait nous aider à redonner du sens aux engagements du passé et à rencontrer les luttes d’aujourd’hui.

Sur la terrasse du Corsaire certain•es d’entre nous ont vécu ces luttes historiques que sont le mouvement des squatters à l’après-guerre, ou des initiatives plus récentes comme le squat Saint-Just qui a accueilli durant 18 mois des mineurs isolés dans un ancien couvent, propriété de l’Eglise. 

D’autres se posent des questions sur l’hospitalité. Qu’est-ce qui fait qu’on accueille certaines personnes et pas d’autres, comment pourrait-on embarquer les pouvoirs publics à voir des liens entre des enjeux qui semblent très éloignés comme le tourisme, les migrants et le mal logement?

En croisant ces premiers témoignages on voit assez vite émerger l’idée que habiter c’est le logement mais pas que. C’est aussi comment on se relie aux espaces, aux autres humains mais aussi au sol, aux plantes, à ce qui fait qu’un lieu est « habitable ».Arrivent alors les témoignages des batailles pour la colline Consolat quand, au milieu de centaines de logement sociaux on a voulu en faire une route, et l’aventure de Tour Sainte où dans une ancienne église désacralisée au milieu d’un vaste terrain bastidaire de Sainte Marthe s’invente un lieu culturel et militant pour que les jeunes de la Paternelle et des quartiers environnants se redonnent un sens à vivre là. 

Se tisse aussi déjà le lien avec la démarche au sein du Lycée Saint Exupéry, pour que la colline redevienne une histoire partagée avec les savoirs des plantes et des sols. Et aussi avec l’expérience des ateliers buissonniers et des terrains d’aventure qui peu à peu à la cité de la Castellane fabriquent dans les lisières de la Jougarelle cet espace commun dont nous avons toustes besoin pour vivre, grandir, apprendre…

C’est avec ces premiers petits cailloux à poser sur le chemin que nous partons marcher…

IMAGE#2 : Devant ce qui était l’entrée de la Villa Tornesi. Agnès nous raconte son enfance dans ce qui fut l’une des 3 bastides squattées par le mouvement des squatteurs qui émergea à Marseille juste après la guerre.  

10 familles dans 10 pièces avec près de 10 enfants chacune, ça en fait des souvenirs ! Par exemple celui de ces rideaux de velours rouge découpés qui venaient de l’église Saint Louis, alors récemment investie par le mouvement des prêtres ouvriers, et qui sont devenues les couvertures très « classe » de ces habitants mobilisés. 

Car il s’agissait bien à l’époque d’une forme de mobilisation qui faisait suite à de nombreux appels, des inventaires de logement vacants et des manifestations portées à fois par les communistes et les milieux catholiques sociaux pour dénoncer la situation de crise du logement et l’incompétence des pouvoirs publics à agir notamment par la réquisition.

“Entre 1945 et 1946, 76.000 demandes de réquisition sont ainsi adressées à l’office municipal de logement pour la seule ville de Marseille. Seuls 2200 dossiers sont administrés, et pas une seule réquisition. Le scandale de ce qui est alors qualifié par les militants d’incompétence des pouvoirs publics, et qui en fait relève surtout de leur impuissance, fait passer quelques-uns des membres du MPF à l’acte de réquisition autonome, donnant naissance au mouvement des Squatters. Ce mouvement va bientôt gagner toute la France, entraînant dans son sillage nombre de militants des associations familiales convaincus qu’il n’est « pas envisageable de s’occuper des squatters sans être squatter soi-même. » Extrait de la Thèse de Claire Duport p.100, à retrouver dans le drive.

IMAGE #3 : Panorama. Marc Medhi nous raconte un grand paysage, celui du bassin de Séon. 

Nous sommes sur l’esplanade juste en dessous du lycée Nord. La vue est grandiose. Il y a plusieurs années des lycéens avait brodé avec leurs enseignants et une artiste « Je suis au sommet du vide ». Il reste quelques bouts de laine, une trace parmi d’autres traces. Entre la géologie des massifs, les aménagements portuaires, la trame des voiries, Marc nous dessine peu à peu une histoire du logement social qui débute avec les maisonnettes de la Cité Jardin Saint Louis, se poursuit par les HLM Consolat où il est venu habiter gamin dans les années 60 puis la résidence Consolat et la co-propriété Consolat Les sources. Au loin on aperçoit aussi les petits immeubles de la cité SNCF.

Chaque cité a son vécu propre et raconte aussi un bout de la grande histoire du logement collectif, les stratégies, les utopies, les tensions entre toutes ces couches d’urbanisation qui sans s’opposer perdent au fil du temps leur porosité. Et on voit bien que la porosité quand elle subsiste passe par des chemins de nature, par des sentiers d’aventure qui invitent au jeu, au jardinage, au sport, à la promenade, à tous ces gestes simples qui apaisent nos corps intimes comme nos corps sociaux.

IMAGE #4: Nous marchons sur le sentier qui longe la colline, des petits groupes se sont formés et conversent.

Le plaisir de la balade et de la rencontre prend le pas sur les échanges en grand collectif. C’est plein de facettes qui commencent à apparaître, l’histoire de la construction du Lycée nord par le même architecte que l’Hôpital nord et de son inauguration par… Krouchtchev. L’histoire d’amour décrétée impossible entre une enseignante et un lycéen du Lycée Saint Exupéry, qui a abouti au suicide de Gabrielle Russier et a inspiré plusieurs chansons dont Mourir d’aimer d’Aznavour et a marqué la société de l’époque. L’histoire du château Consolat et de son parc, seconde bastide squattée et terrain de construction du lycée. L’histoire des souterrains allemands et de ses « fusées céramiques », et de toutes ces constructions du sudwall qui subsistent en sous-sols…L’histoire des propriétaires qui ont coopéré au mouvement des squats dans le but de dévaloriser leurs biens. L’histoire des co-pro dégradées en regard des cités HLM. L’histoire de la lutte des habitant•es de la cité Saint Louis pour qu’elle ne soit pas détruite…L’histoire de la grande marche pour l’égalité de 1983 et de la chanson des enfants des quartiers nord…

Nous rentrons tranquillement vers le bus 70. On ne sait pas encore ce que ce sera ce chemin collectif mais ce premier temps de partage nous donne envie de poursuivre nos pas à pas…

DESSUS-DESSOUS Habiter le sol de Consolat – Récit #2

Au-dessus la biodiversité et les satellites, au-dessous les tunnels et les câbles sous-marins.

Nous nous sommes retrouvés entre l’au-dessus et l’au-dessous, sur les escaliers à côté du lycée, avec la belle vue depuis la colline surplombant la mer… Comme dirait Agnès J. “la colline Consolat fait complètement partie du Bassin de Séon.”

Entre le dessus et le dessous

Grâce à la formule magique de Dominique, laborantine des cours de sciences au lycée Saint-Exupéry, nous avons pu passer, telle une classe de vieux lycéens, les portes d’accès et découvrir cette cité éducative d’avant-garde construite à la fin des années 50′, où nombreux d’entre nous, étions élèves ou avons vu nos enfants grandir.

A l’entrée du lycée

À LIRE A Marseille, la résistance d’un « lycée ghetto »

À LIRE À Saint-Ex, les élèves de prépa dans le top 10 des grandes écoles

Les récits dissonants du lycée Nord, depuis ces deux journaux, Le Monde et La Marseillaise, respectivement en 2013 et 2023.

Le lycée Saint-Exupéry (1800 élèves, 200 professeurs, 40 personnels) a été construit sur le domaine Consolat-Mirabeau, propriété de la famille Mirabeau du XVe au XVIIIe siècle et qui sera acheté en 1829 par la famille Consolat (celle du fameux maire qui décida de la construction du Canal de Marseille). Devenue propriété de la Ville de Marseille peu avant la deuxième guerre mondiale, le domaine sera occupé par les troupes allemandes, puis à la libération par les troupes américaines avant que la Ville ne récupère les terrains pour la construction du lycée et d’un ensemble immobilier. Les grottes et les caves de la colline seront alors fermées et le château démoli. Dans les plis de ces diverses occupations, la campagne Consolat sera aussi la deuxième campagne réquisitionnée par le mouvement naissant des Squatters, avec la Campagne Tornesi où a grandi Agnès (récit #1).

La forme arrondie du lycée, tellement années 50′

Julie rebondit alors sur les arrondis, “tellement années 50′! ” du bâtiment à l’entrée du lycée et nous fait remarquer leurs résonances avec la station service juste en face!

Cette forme joliment circulaire dédiée à la voiture est classée patrimoine de l’architecture, faisant partie de 2 prototypes de Jean Prouvé. Cet ingénieur-bricoleur n’a pas construit que des stations services et est en fait un personnage majeur dans l’après-guerre des réflexions sur le besoin urgent de logement. Prouvé fut un pionnier dans la construction industrielle mais il incarnera une autre recherche que celle du “grand ensemble”, celle du préfabriqué, du kit plus proche de la cabane que de la barre collective. Il chercha ainsi à proposer des habitats modulaires répondant aux besoins de confort et d’hygiène tout en étant économiques, rapides et faciles à construire. Ce n’est pas cette vision qui l’emportera, et on se rappelle alors que le lycée avec son architecte René Egger raconte aussi cette bataille dans les conceptions et les techniques du logement social.

Station service en face au lycée

Mais nous étions venu visiter le parc de 7 hectares qui entoure le lycée pour apprécier sa biodiversité, et découvrir comment les habitants non humains de la colline dialoguent parfois avec les jeunes humains qui poussent là !

Dominique nous raconte…

Il y a 35 ans j’ai atterri par hasard dans ses murs, et je n’en suis jamais repartie : je suis technicienne du laboratoire des sciences de la vie et de la terre, et animatrice du sentier nature. Au travers de mon expérience, de mes recherches, je suis convaincue que passer du temps dans la nature est essentiel au bon développement de l’enfant comme de l’adulte, sur le plan psychologique autant que sur le plan physique. Être dehors aide à la gestion du stress et renforce l‘estime de soi, favorise la collaboration, la communication, la créativité et l’esprit critique

Nous voici enfin dehors. Après un court temps d’adaptation où Agnès et Marc Medhi retrouvent les émotions de leurs 12 ans (au départ le lycée était un collège) pendant que ceux•elles qui viennent pour la première fois se laissent immerger et impressionner par la beauté du site , nous nous avançons vers le « coin biodiversité ». Cette petite enclave de terrain est balisée par une mini barrière en bois pour éviter d’être piétinée et aucun travail de l’homme n’a été pratiqué depuis 4 ans. Ici, la nature évolue en permanence, les espèces pionnières (la grande mauve, les arabidopsis, la folle avoine…) commencent à laisser la place à d’autres qui explosent à chaque printemps. Il n’est pas rare de rencontrer criquets et sauterelles grignotant les feuilles tendres, la coccinelle se régalant de pucerons, l’araignée tissant consciencieusement sa toile, le lézard se dorant la pilule sur le rocher face au soleil.

Nous évoquons l’impact de l’homme, nous parlons d’écologie, cette science qui s’intéresse aux relations des êtres vivants entre eux et avec leur environnement, et de la biodiversité (du grec bio : la vie) différente quand se trouve d’un coté ou de l’autre de cette bien légère palissade.

Virginie, nous montre les plantes qui ont poussé dans ce petit coin, la Mauve par exemple, très liée au retournement des sols dit-elle, et à la présence des matières organiques, l’Allyson maritime, des petits Soucis, des Graminées, de la Roquette jaune et blanche…. Ça nous transporte pour ceux et celles qui ont contribué au Caminando à Saint-André et à notre mantra avec les enfants de la Castellane: “diplotaxie, diplotaxie si on trouve la clé on pourra rentrer”.

Virginie continue, les plantes sauvages, “qu’on dit pionnières ou adventices” arrivent au début sur les sols pas terribles et comme c’est des plantes qui ont des racines “carottes”, au bout de quelques années, elles ramollissent les sols et les autres graines qui n’arrivaient pas à s’installer commencent a pousser. Les plantes pionnières sont très utiles, on les retrouve beaucoup dans les friches des quartiers nord, elles permettent d’améliorer les terrains et la diversité.

Julie, qui décidément tente aujourd’hui des associations entre nos sujets, nous invite à se rappeler qu’on considère souvent comme “sales” ces espaces et ces plantes qu’on pourrait remercier pour leur travail de recomposition du sol. Savoir que les sols se reconstruisent permet de ne pas sombrer dans la nostalgie “d’avant c’était mieux”, et que si on a malmené le sol de nos quartiers, on peut aussi penser que les humains peuvent s’inspirer des plantes pionnières… Le sol peut se reconstruire, on peut l’aider à se reconstruire, et on en sera que plus vivant nous aussi non?

Dominique nous rappelle la plante la plus toxique de France… le laurier rose !

Avec ce panorama impressionnant qu’on a du lycée, on se rend compte qu’on a toustes un bout d’histoire à partager. Tania vit à côté de la cité de campagne Lévêque, dans une barre des immeubles privés, en copropriété. Elle habitait avant dans une des petites maisons qui formait le domaine plus vaste de la famille Camelio, morcelé peu à peu mais qui donne son nom au stade de rugby. Elle a du partir suite à la vente de ce beau terrain pour la construction un projet immobilier qui pour l’instant n’a pas vu le jour, et a choisi de rester au plus près, dans l’immeuble tout à côté… Cet assemblage d’habitats nous semblent harmonieux, on a peine à croire que la petite forêt qui subsiste pourrait ainsi disparaitre.

D’un côté de la colline on a le conservatoire du logement social, et de ce côté là on pourrait dire que c’est un conservatoire des équipements sportifs, ou des traces des équipements sportifs! Tant de souvenirs de pratiques sportives (Agnès en a encore un paquet d’histoires, entre la création d’un pseudo statut de sport étude pour elle toute seule quand elle était jeune nageuse un peu fugueuse de l’école et les exploits des jeunes judoka d’aujourd’hui). Tant aussi à la fois de militance (sport et éducation populaire sont très liés) mais aussi de tensions politiques, la piscine nord juste en dessous en étant un sacré témoignage!

On pivote un peu et toc, d’autres histoires se déroulent. Marc Medhi nous parle de l’ancienne base sous-marine allemande (sur la photo : bâtiment noir près de la mer). Construite en partie par des travailleurs locaux enrôlés dans le travail obligatoire, elle n’a jamais été achevée mais témoigne de cette intense période de construction du Sudwall, qu’on ira explorer très physiquement dans les dessous!

Difficile à détruire, elle a accueilli les prisonniers allemands qui y ont laissé quelques fresques puis est restée dans l’état comme de nombreux bunkers tout du long du littoral, , sans que les autorités portuaires ne trouvent un usage. Puis, à partir de la découverte de la scie à découper aux diamants (câblé diamantée) pour découper le béton et aux caractéristiques du lieu (murs anti-missiles et proximité de l’eau), les data centers ont flashé sur Martha (le petit nom de la base)! La société américaine Digital Realty/Interxionest venu s’installer en 2019 . De là, ils partent des câbles sous la mer pour le monde entier et Le Grand port fonde une partie de sa recomposition dans cette nouvelle activité hautement stratégique…

À REGARDER : L’ancienne base militaire « Martha » se transforme en date center

À LIRE: À Marseille, une ancienne base sous-marine nazie révèle ses fresques de jeunesse

A partir de ce paysage militaire en reconversion numérique on se retrouve à parler d’ici, d’une fois encore cette période de la fin de la guerre ou du début de l’après-guerre mais aussi de nouveau de milieux, de mondialisation et de communs…

On se rappelle que les fonds des mers, juridiquement, ça n’appartient à personne. Il y a un enjeu énorme autour de la mer, à plein des niveaux, entre la ressource, le pétrole, la sécurisation des fonds. Aujourd’hui, une autre battle est en train de se passer sur les modèles/systèmes pour sécuriser les tuyaux, avec une multiplication des câbles et des stockages, comme Google qui est en train de créer leur propre système, alors qu’avant, tout ce qui était réseau, était partagé.

Et c’est exactement la même chose qui est en train de se passer avec la bataille pour contrôler l’espace, que lui aussi, n’appartient à personne, donc aussi se posent les questions des communs. Comme X – Space (Elon Musk), avec ses plus de 5000 satellites déjà lancés et 42000 de prévus.

À LIRE : L’espace est-il devenu le nouveau Far West ?

Mais il est temps de revenir sur terre…

tuf

Nous descendons le grand escalier bétonné : il remplace celui mangé par la rouille et l’érosion qui se cache dans la végétation, et nous arrivons devant une paroi rocheuse constituée de tuf. Cette roche présente sur tout le parc, est le témoin des cascades présentes sur le lieu dans des temps lointains, elle est constituée de moulages de débris végétaux emprisonnés dans du calcaire. Elle servira entre autres de matériel de construction des murs encadrant les restanques.

Agnès, qui semble ne pas avoir oublié ses cours de sciences nat appris juste au dessus, nous raconte avec ses mots ces 2 phénomènes chimiques :

  1. Le karst :  certaines qualités de calcaires sont karstiques. Celui de notre région en est un. La pluie, c’est de l’eau H2O. L’air, c’est de l’oxygène O2. Le sol, ici calcaire, est très chargé en matières organiques décomposées C(=carbone) H2O et O2 touchent le sol, s’infiltrent, rentrent dans le sol. Lorsque ces 2 éléments combinés rencontrent une zone carbonée, il se passe un phénomène chimique : le calcaire se dissout, il n’existe plus. Ça fabrique des circulations d’eau souterraines, à travers des galeries fabriquées par cette dissolution. Le sous-sol devient un vrai gruyère de grottes, de cavités parfois grandes comme des cathédrales, parfois plus petites que le petit doigt. Ça, c’est le karst.
  2. Le tuf : il y a souvent (pas toujours) des endroits où cette eau extrêmement chargée de ce calcaire dissous ressort à la surface. Normalement, la destinée de l’eau est de descendre toujours vers le point le plus bas. Lorsqu’elle ressort avant d’atteindre la mer, c’est qu’elle est poussée ou attirée par une force très puissante. Au moment précis où l’eau re rencontre l’air libre O2, elle surgit en pression et se transforme en un gaz de très très fines gouttelettes. C’est le pschitt. Ces gouttelettes se déposent sur la végétation existante : toutes sortes de mousses, lichens, plantes, arbres. Ces végétaux deviennent de la roche calcaire. Ça c’est le tuf. 

Karst

En écho à Agnès, Dominique continue à nous décrire ses balades sensorielles avec ses élèves :

“Sur cette restanque, essayons d’utiliser un maximum de vocabulaire pour décrire les sensations liées au toucher : Caresser des pétales duveteux, effleurer une fleur de chardon, frôler ses épines, tâter l’écorce d’un arbre, écraser de la terre entre ses doigts, marcher pieds nus dans des feuilles, dans l’herbe, attraper une graine de clématite virevoltante…Nous descendons sur la restanque suivante, appelée aussi bancaou en provençal.”

Agnès encore, notre chatGPT de la nature, à propos des Bancaous ou terrasses ou restanques.

“C’est le système de la gestion de l’eau dans le cadre des propriétés, celui d’en haut, il évacue son eau par des systèmes comme ce tuyau en poterie (photo au-dessous). L’eau arrive chez celui d’en dessous, celui d’en dessous ne peut pas porter plainte, s’il est envahi par l’eau, il fait le même système et il l’envoie chez celui d’en dessous, et ainsi de suite. L’eau n’appartient à personne, donc ils ne peuvent pas la garder, ils doivent la faire évacuer.”

Dominique nous parle du bas-relief représentant la chute d’Icare, sculpté probablement par Jean Amado (réalisateur des bas-reliefs en céramique jalonnant le lycée), et déposé ici suite aux travaux de rénovation du lycée. Icare ne vole plus, il s’est couché…

Icare nous fait penser à la géologie du territoire, son coté organique peut se fondre dans le paysage, et il y a quelque chose de beau de le voir couché, île ou continent, comme s’il nous invitait à l’embrasser.

Parfaite transition pour s’inverser, partir vers l’intérieur géologique, dessous!!

L’exploration du Mille-Pattes continue au-dessous du lycée, dans les tunnels allemands de la 2ème Guerre. On trouve des traces d’ouvrages militaires partout à Marseille, vers les Goudes, sur la côte et qui n’ont pas pu être détruits. On est ici dans l’observation de la baie, mais aussi dans l’alignement avec les Iles de Frioul. Marc nous explique qu’on protégeait les 2 anses, celle-ci, et celle de Marseille. On va voir plusieurs modes de construction, le coffrage, les fameuses fusées céramiques, et des percements à même la roche. A l’origine comme c’est de la roche tendre, c’était déjà creusé, c’était des grottes, et le propriétaire qui avait des vignes s’en servait de caves de stockage.

Ici, la transition est intérieure… on passe des tunnels sombres et froids en béton à la chambre principale chaleureuse et ample, grâce à la méthode de construction avec des fusées céramiques.

La fusée céramique

Jacques Couëlle invente le principe de la fusée céramique au sein du Centre de recherches des structures naturelles dans les années 1940. La fusée céramique est un élément en terre cuite. Les fusées s’emboitent les unes dans les autres à la manière des tiges de bambou ou de la prèle, comme dans la illustration ci-dessous.

Ce principe est utilisé pour construire des voûtes : sur le coffrage enduit d’une première couche de ciment sont alignées des rangées de fusées céramiques renforcées par des tiges métalliques qui permettent d’armer la structure. Le tout est ensuite recouvert d’une deuxième couche de ciment. Cette méthode à l’époque plus rapide que le procédé du béton permettait de réaliser en peu de temps des voûtes de grande portée, comme fût le cas du Grand Arénas.

Comme des miroirs qui se reflètent, entre l’histoire et l’actualité, le conflit Israélo-Palestinien…

Le ‘’Grand Arénas’’ est un camp de transit construit à la fin de la guerre dans le quartier de la Cayolle par l’architecte Fernand Pouillon à partir du réemploi de fusées céramiques dont la légende dit qu’il en aurait trouvé des stocks trainer sur le port. Plaque tournante de tous les flux migratoires, prisonniers ou déportés libérés, travailleurs ou soldats coloniaux qui vont retrouver leur famille après des années de séparation, « personnes déplacées », venant des camps ouverts en Europe centrale à l’issue du conflit mondial et en quête d’une nouvelle patrie, Marseille est notamment au coeur des mouvements vers la Palestine des juifs maghrebins et rescapés des camps. L’histoire de ce camp est longue et complexe, il sera une enclave juive vers Israël mais va également accueillir d’autres peuples réfugiés ou déplacés : travailleurs vietnamiens indépendantistes autogérés, des gitans et plus tard des algériens suspectés d’être membres du FLN…

Et tout cela nous ramène étrangement à l’histoire locale puisque c’est dans le bassin de Séon, plus précisément dans l’usine Martin de Saint-André que ces tuiles fusées furent pendant un court temps produites.

EN IMAGES : Le Grand Arénas

À LIRE: En route vers Israël

Pour sortir des tunnels, il fallait expérimenter à nouveau une sorte de renaissance… ça a été très physique mais une belle expérience !!! Il y a eu 20 accouchements de la mère roche…

Délicieux final Mille-Pattesque, couché de soleil, tisane et gâteau aux pommes. Merci Julie et bon anniversaire Marc !

FAUT-IL AIMER NOS MONSTRES ?

La question des déchets paraît difficilement soluble, en tout cas dans une société comme la nôtre, fondée économiquement, socialement, philosophiquement sur la production continue et exponentielle de produits de consommation jetables issus de l’industrie pétrolière.
La remise en question de la production même de matière jetable fleurant un peu trop l’éco-terrorisme, la seule pédagogie en matière de traitement des déchets à destination des “publics” (soit des adultes et des enfants vivant, consommant, jetant en 2023) semble être de les convaincre -de manière plus ou moins culpabilisante- de l’absolue nécessité de mettre les cartons dans la poubelle jaune et de ne surtout pas jeter son mégot dans la bouche d’égout. Ce qu’il advient des matières une fois refermé le couvercle de la poubelle ? Cela ne relève pas de notre juridiction !

Malgré les trésors d’inventivité déployés par les pédagogues, les déchets continuent de s’amonceler en dehors des bacs prévus à cet effet. Signe que limiter le cycle de vie du détritus au trajet consommateur ir.responsable – poubelle ne suffit pas à changer en profondeur les comportements ? Il se peut.


Vaut-il mieux alors bombarder les sujets de l’expérience avec des images atroces de poissons étouffés dans des sacs plastiques, d’oiseaux pataugeant dans la marée noire et de continent de polymères flottant ?
Cela se fait.


Résultat :
-80% des personnes cliquent sur la vidéo suivante “Dead Children in Gaza Strip/Urkraine/Yemen”
-5% deviennent des écologistes chevronnés, adeptes du zéro déchet
-15% entrent en dépression et se nourrissent exclusivement de crème glacé en pot de 1L pendant 3 semaines.

p.s 1. les écologistes chevronnés sont aussi généralement atteints de dépression, mais ils prennent de la crème glacée Max Havelaar®

p.s 2 : ces chiffres ne proviennent d’aucune source fiable

Qu’est-ce qu’un comportement sinon un reflet de notre rapport au monde, de nos croyances, de nos valeurs? Si tel est le cas, alors il faudrait que le système de représentations tout entier de l’individu soit bouleversé, changé, questionné pour qu’ensuite des gestes puissent suivre et s’ancrer dans un nouveau quotidien.

A défaut de bouleverser irrémédiablement les systèmes de représentation des individus, Made In The River tente de formuler une proposition pour faire face à la question des déchets, une proposition non pas technique mais artistique, dans le sens où il s’agit de décaler la réalité, de déplacer le point de vue par la mobilisation de l’imaginaire, dans l’espoir de fabriquer de nouvelles capacités d’agir. Ou au moins de ne pas produire de nouvelles dépressions.

Pour cela partons de la réalité et poussons-la à son climax.
C’est l’apocalypse : les déchets de toutes sortes ont tout envahi. Le nettoyage n’est que réconfort temporaire, car quand bien même une partie des rejets peut être déplacée, son élimination totale et non résiduelle de la surface de la planète est impossible. L’anthropocène, arrivé à son acmé, cède à présent la place à une nouvelle force géologique à même de façonner les paysages : le detritocène.

Ce scénario paraît un peu radical ? C’est pourtant la réalité quotidienne de la rivière des Aygalades.
La découverte de ce paysage ruiné déclenche chez de nombreuses personnes des sentiments contrastés : joie de découvrir la ripisylve et de goûter à la fraîcheur les jours d’été, admiration face au jet inattendu de la cascade…mais aussi violence devant ses berges composées de bouteilles d’huile, de vieilles bâches et de pneus entassés, douleur de constater l’absence d’eau retenue dans les lacs artificiels des carrières Lafarge et d’observer quelques rares anguilles asphyxiées dans une eau contaminée par les rejets des garages avoisinants.

Peut-on trouver de la connexion et de la joie dans les ruines ? Nous faisons le pari que oui, à partir du moment où nous acceptons de changer de paradigme : de sortir d’un rapport utilitariste à notre environnement, à la “Nature” considérée uniquement comme ressource et dont la préservation ne se juge qu’à l’aune des services qu’elle est capable de nous rendre : approvisionnement en eau, régulation de température, satisfaction esthétique etc.
Faisons une expérience et considérons la rivière comme un parent, un être vivant qui bien que de forme différente de la nôtre aurait des droits intrinsèques au même titre que les autres individus qui forment notre entourage.

Popularisée par Philippe Descola, Vinciane Despret, Alessandro Pignocchi et de nombreux.se.s autres auteur.ices qui se sont intéressé.e.s aux relations entre êtres humains et autres vivants, cette vision dessine la possibilité d’un rapport de l’Homme à son environnement fondé sur la cohabitation plutôt que sur l’exploitation.

Alessandro Pignocchi, La recomposition des mondes, Editions du Seuil, 2019, pp 22-23

Cela se peut-il dans le cas d’une rivière aux apparences d’égout et pour laquelle le qualificatif “être vivant” ne vient pas spontanément à l’esprit ?
Nous faisons le pari que oui, et que c’est justement en s’intéressant à ce que la rivière contient de moins ragoûtant, de plus répulsif que nous pouvons recréer ce sentiment de vie et ainsi retisser le lien entre elle et nous.

En effet, l’observation fine des matières que charrie la rivière nous a appris qu’une transformation physique et potentiellement chimique 1 s’opérait durant leur séjour dans l’eau.

La Gazette du Ruisseau#4 représente la rivière sous les traits d’un tube digestive qui avale, digère et recrache les déchets sous une nouvelle forme.

La rivière effectue donc une action de transformation sur ces matières qu’elle modifie mais aussi réassemble jusqu’à former des compositions inattendues, mêlant plastique et métal, tissu et plantes. Le plastique ayant séjourné contre un rocher pendant une longue durée prend des plis nouveaux, semblables à la texture d’une peau de crocodile. Le métal sur lequel il s’est entrelacé l’a teinté de rouille et produit des nuances dignes d’un pelage.

“Peau” de Créature du ruisseau, fabriquée à partir d’assemblage de plastiques collectés dans la rivière
“galets” en polystyrène, difficilement différenciables de leurs cousins rocailleux

De ce point de vue, la rivière ne fait pas que subir les déchets de manière passive, elle est aussi active, assembleuse et créatrice de formes inédites qui introduisent du flou dans l’habituelle distinction “nature” et “culture”.
Reconnaître que la rivière est une force agissante mène à changer de posture, à passer du statut d’acteur principal (l’humain qui agit pour la rivière) à celui, plus humble, d’observateur. En collectant et en assemblant les matériaux, nous n’avons d’autres ambitions que de produire une pâle imitation du travail de la rivière.
L’observation, la sélection, le ramassage, le nettoyage forment un processus long qui requièrent du temps, de la patience et du soin, vertus qui finissent par accorder aux objets ramassés de la valeur et même une certaine préciosité, tant chacun finit par paraître unique, avec ses qualités visuelles ou tactiles.
Traiter avec délicatesse des rebuts, se permettre de les jauger à l’aune de critères esthétiques précis, s’autoriser à collecter ceux qui nous plaisent et à laisser ceux qui ne nous parlent pas, tout cela revient à créer de l’attachement pour ce qui est rejeté, à repeupler ce qui paraissait désertifié.

Dès lors, les “peaux” des Créatures et la mise en scène de celles-ci sont une manière de traduire et de partager ce qu’enseigne l’expérience de la rencontre avec la rivière : bien que discrète, la vitalité des Aygalades persiste.

@Bulat Sharipov, l’esprit de la sécheresse des Aygalades
@Georges Kammerlocher, Créature observée dans son habitat naturel pendant le ramassage du 30 septembre
@Bulat Sharipov
  1. à venir notre partenariat avec le CEREGE et l’utilisation du scanner MATRIX pour observer les nanoparticules présentes dans la rivière des Aygalades ↩︎

WALKING IN THE RAIN

Les aventures des Journées Européennes du Patrimoine sous la pluie

Cette carte du quartier a été distribuée pour la marche des JEP. Elle est accessible auprès de la bibliothèque de Saint -André, de la coopérative Hôtel du Nord et de l’association Momkin

C’était écrit noir sur blanc : “Samedi 16 septembre 2023 : pluie 80%”

Quelle nouvelle réjouissante pour la végétation, assoiffée par un mois d’août brûlant !
Les marcheur.euse.s que nous sommes se sont senties prises d’un élan de joie à l’annonce de toute cette eau, d’une envie de danser sous la pluie…depuis notre canapé.
Pourtant il en faut pour nous décontenancer à Hôtel du Nord !
Mais qui dit averse dit aversion à l’idée d’envoyer un groupe à l’aventure par monts et par vaux, avec pour tout guide une carte en papier (non imperméable!).
A peine avions- nous mis au point un plan de repli, une autre date fin octobre, somme toute plus pratique pour la plupart d’entre nous etc.. qu’Emmanuelle, de sa voix assurée de maîtresse d’école patentée, a déclaré :

“Cette balade je la ferai, même si je dois la faire toute seule !”

Emmanuelle, la veille de la balade

Il faut dire que cela faisait plusieurs mois qu’Emmanuelle et Agnès, les maîtresses de CP-CE1 de l’école Saint- André Barnier et leurs élèves planchent dur sur ce projet de fabriquer un jeu de piste patrimonial reliant les 3 écoles du quartiers, et par là- même le “haut” (la Castellane) et le “bas” (le noyau villageois).

La motivation étant chose contagieuse, nous sommes une bonne quarantaine au départ dans le parc de la Jougarelle, samedi 16 septembre à 10h, muni.e.s de parapluies colorés et prêt.e.s à partir explorer le quartier, carte au trésor en main.

Il y a des grands, désireux de découvrir ce quartier qu’ils ne connaissent pas ou alors qu’ils n’ont vraiment pas l’habitude d’arpenter à pied. Il y a aussi des plus petits : Hyacinthe, déjà rompu à l’expérience de cette chasse au trésor dont il avait été l’enfant-test quelques jours auparavant, et toute une bande joyeuse, élèves de l’école (ou apparentés) qu’Emmanuelle est parvenue à tirer du lit.

Profitant d’un rayon de soleil, apparu au moment du dévoilement de la carte au trésor, nous formons des petits groupes d’exploration : un premier groupe part à la recherche de l’indice n°1 : “le champ de palmier”, tandis que les prochains restent pour apprendre une chanson .

Une fois l’indice trouvé, il suffit de retourner la carte pour accéder à des explications, poétiques, techniques ou historiques, qui décrivent l’endroit. Ces quelques lignes ont été écrites en croisant les expériences de celles qui ont accompagné les enfants dans cette aventure, sur ce territoire qu’elles connaissent chacune à leur manière, de par leur pratique : Elsa et Francesca, de l’association Momkin et 3.2.1, par leur présence hebdomadaire lors des “ateliers buissonniers” à la Jougarelle, Emmanuelle, enseignante engagée auprès de ses élèves et habitante de Saint- André, et Chloé, Julie, Samanta et Agnès, membres de la coopérative Hôtel du Nord qui ont pris l’habitude de marcher sur les traces des anciens chemins à l’affût des indices.


Mais ce ne sont pas les seules à avoir des choses à dire, et les participant.e.s de ce jeu de piste ont chacun.e.s de l’expérience à revendre concernant le fonctionnement du Port Autonome qu’on aperçoit au loin, le désamiantage de l’école du haut, les “concombres d’âne” explosifs, l’ancien réseau de canaux (avec ses martellières et ses Aiguadiers) qui permettait que poussent les fleurs et les légumes là où aujourd’hui fleurissent les immeubles…

Le château de Gabrielle de Castellane enfin retrouvé, dans la
cour de l’école du haut !

Chaque petit groupe mène la balade à sa guise, au grès des personnes qui le composent. Certain.e.s ont ainsi droit à des surprises, comme la visite impromptue d’une belle maison par sa propriétaire, témoin de l’histoire agricole du quartier dont on s’efforce de débusquer les traces.

Au- dessus de la porte d’entrée, la vigne qui entoure les initiales des premiers habitants rappelle la tradition de la rocaille marseillaise et des cultures qui fleurissaient sur les bancaus de Saint- André

De son côté Emmanuelle est intarissable de détails et d’anecdotes, sa tablette à la main elle montre aux membres de son groupe de nombreux documents et archives qui racontent la richesse de l’histoire du quartier.

Alors qu’on se croyait tiré d’affaires, le ciel s’assombrit et la pluie se rappelle à nous. Les parapluies cessent d’être des bâtons de marche et reprennent leur place au -dessus de nos têtes.

On commence à être bien mouillé et quelques un.e.s font défection, alors ceux qui restent se serrent les coudes et les petits groupes finissent par se rejoindre afin de se donner du courage!

Même si aux yeux d’Arlette cette averse n’est tout juste bonne qu’à arroser les plantes bandes (sous entendu, il en faudra d’autres avant de réellement hydrater les sols), celle-ci suffit quand même à noyer la chaussée et à faire réapparaître le tracé du cours d’eau du Pradel ! Alors que celui-ci a été recouvert par la construction du boulevard Henri Barnier, il prend aujourd’hui sa revanche et nous rappelle que le chemin de l’eau ne peut réellement être contraint.

La marche continue le long de la Traverse de la Barre, où autrefois se croisaient les charrettes, cahotant entre les champs et les fermes qui étaient alors si nombreuses.
Sur ce chemin les éléments de la vie et les évolutions du quartier sautent aux yeux : cité de la Bricarde d’un côté, ancienne bastide de l’autre, murs en tuiles et en briques issues des tuileries, avec au débouché la Nouvelle Lorette.
Les bras croisés derrière une Glissière en Béton Armé qui sépare la résidence de la route, un monsieur regarde passer ces gens qui défilent, le poil humide et une carte détrempée à la main. Il est né dans le bidonville de la Lorette et connaît par cœur l’histoire du relogement, qui est avant tout la sienne et celle de sa famille, ainsi que celle des tuileries, du remblais de Foresta, de Grand Littoral. Nous lui taillons un brin de cosette, mais à peine les premiers l’ont-ils laisser souffler qu’un nouveau groupe arrive et relance la conversation.

La pluie semble derrière nous, nous pouvons nous lancer à la découverte de la friche où se trouvent les ruines de l’ancien gymnase du collège Henri Barnier, victime d’un glissement de terrain comme d’autres géants aux pieds d’argile avant lui.
Les semelles s’augmentent de couches de boue, les poches et les bouches se teintent du violet des mûres fraiches.

On vous avait promis l’aventure au coin de la rue ! On ne vous a pas menti.

L’heure du pique nique approche, les ventres crient famine. Chacun cherche un endroit où s’installer malgré le sol détrempé. On tend des bâches, on déplie des nattes en plastique immédiatement piétinées par des chaussures pleines de boue… pas facile de se mettre au sec. Heureusement Julie distribue allégrement des tartines de pesto de plantes qu’elle a cueillies et préparées la veille.

Au moment où on croyait être à l’abri..BADABOUM ! Les nuages éclatent à nouveau et la pluie ruisselle sur les pique niques..
Malgré l’averse personne ne bouge, le réflexe est plutôt de se serrer les un.e.s les autres et de chanter !

Nous sommes des enfants des quartiers nord
Et à pied ça fait loin jusqu’au vieux port
Il y avait des vaches et des cochons
À l’endroit où se trouvent nos maisons
Pierrette partait avec son bidon d’lait
Dans une ferme tout près de la forêt
Adieu vaches et cochons, ferme et forêts
Pierrette achèt’ son lait au supermarché

Sifflotée par plusieurs d’entre nous pendant la marche, la Chanson de Mehdi est entamée collectivement, à l’initiative de Jeanne. Ces paroles, écrites en 1982 par la classe de Daniel Beaume, professeur au collège Albert Camus dans le 14e, font toujours mouche et semblent avoir été écrites pour illustrer notre marche du jour.
Elle était un des hymnes de la Marche pour l’égalité partie de Marseille en 1983, dont le 40naire est fêté cette année. Les paroles résonnent encore aujourd’hui, signe que l’histoire tourne en rond ? Ou peut- être preuve que c’est en marchant qu’on avance, droit devant ou en pas de côté.

Le soleil finit par poindre et les sourires qui n’avaient jamais disparu continuent de resplendir.
On sort de la forêt pour rejoindre “la ville”. Avec sa pente herbue et ses sapins, la colline de Grand Littoral prend des airs de station de ski en été. Les enfants dévalent la piste rouge à toutes jambes.

Le ciel bleu revenu, les vaillant.e.s explorateur.ices achèvent de relier le haut du quartier à Saint-André village. L’arrivée est à la bibliothèque, qui a accueilli au printemps les ateliers buissonniers qui ont permis de rassembler tant de monde pour décorer les rues et préparer la Fête de la musique. Il se trouve que cette bibliothèque est .. une ancienne école ! Le chemin des écoliers est donc bien arrivé à bon port.

Cette marche, proposée à l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine, a permis de présenter le travail réalisé par le Mille Pattes des enfants de Saint-André Barnier pendant l’année 2023. Ces explorations et les créations qui en ont découlé sont rattachées au projet “Caminando Saint André”, porté par Hôtel du Nord, les associations Momkin, 3.2.1, Trait d’Union, l’Atelier sous le Platane, la bibliothèque de Saint-André et de nombreux autres complices.

La suite de ces aventures est pour bientôt .. 😉

Les Créatures émergent

Dimanche 4 juin

Il s’est produit quelque chose pour lequel vous n’avez pas encore de conceptualisation, d’analogie ou d’expérience, quelque chose auquel votre vision et votre ouïe, voire votre vocabulaire, ne sont pas adaptés.  Tout votre instrument est tourné vers la vue, l’ouïe ou le toucher. Mais vous êtes aveugle, mort, engourdi . Non écoutez, pour comprendre ce nouveau monde de sensations, l’humanité doit sortir de ses limites. AHHHHHHHHHHHHHHHHHHH HA HA Une nouvelle histoire des sentiments a commencé.

UMMMM – Forcé de digérer les détritus de votre ingéniosité humaine, le plastique, le métal, les déchets toxiques des industries, je vous enseignerai l’humilité et le sens de l’émerveillement pour les capacités cosmologiques des forces de vie – réparer, renouveler, refaire. Nous trouvons notre propre façon de vivre malgré l’humain. Voyez le grand digesteur travailler au microscope, dans l’enchevêtrement cosmique – un paysage blessé – la vitalité empoisonnée de cette belle vallée. OH Vous vous attendriez à ce que nous soyons continuellement en train de gémir et de pleurer, mais non, contrairement à l’humain, nous avons un sentiment et un rythme patient qui font honte à votre vanité humaine. Combien de pots de maquillage, de tubes de rouge à lèvres, de pots de stéroïdes, d’améliorations, de paillettes et de glamour en plastique se trouvent dans le lit de ma rivière ? Combien de détritus s’écoulent et étouffent mes grilles chaque fois que la pluie tombe fort ? Et combien de respiration, combien de vie et d’espace sont retirés de mon patient écosystème ? Dites-moi, dites-moi, une nouvelle ère de sentiments a commencé….

Retrouvez l’émergence des Créatures comme si vous y étiez en regardant la géniale captation de Bulat Sharipov : https://vimeo.com/852642194 @bulat_sharipov

MADE IN THE RIVER : relier la rivière

Située sur un promontoire, battu par le vent (le site abritait autrefois des moulins) et baigné de soleil, la cité de la Viste domine le paysage du haut de ses tours élancées. Dans ce terroir purement marseillais, la fraîcheur de la mer semble bien lointaine.

Et pourtant, en contrebas du vallon qui sépare la Viste de la cité des Aygalades, postée en miroir sur la falaise d’en face, se love un coin de verdure, irriguée par le ruisseau du même nom : les Aygalades. Vallon et falaise sont d’ailleurs l’œuvre de ce même cours d’eau qui a patiemment érodé le massif calcaire, au point de creuser un passage suffisamment large et profond pour que l’Autoroute A7 puisse s’incruster dans le lit de ce petit fleuve côtier. Peut-être est-ce à cause du flux incessant des voitures que « les Aygalades » évoquent aux riverains le nom d’un quartier, mais pas celui d’une rivière, et encore moins d’une rivière qui coulerait au pied de chez eux. Les « Eaux Abondantes » ont en effet souffert des travaux de l’autoroute : les débris de la construction ont été évacués dans son lit, au point de l’obstruer, et le tracé jugule le cours naturel de l’eau dans un coffrage de béton au point de lui donner l’apparence d’une annexe du canal de Marseille.

Malgré une ripisylve bien fournie, le ruisseau est invisibilisé.

Le chemin qui longe la colline, effleure le passage menant aux grottes carmélites et à la chapelle de Saint Marie Madeleine (signes d’une époque où les pèlerins venaient chercher la quiétude et la contemplation près de ces eaux bouillonnantes), et descend jusqu’au fond du vallon en passant par le cimetière, est peu fréquenté. En tout cas pas par celles et ceux qui rêvent d’une promenade au bord de l’eau. Or, en tendant l’oreille, au niveau des sépultures du carré musulman, on entend clairement murmurer une cascade. Et en écarquillant les yeux entre les anneaux du grillage, on peut même la voir.

Pour le marcheur moins attentif, pas facile de deviner la présence du ruisseau : bordant la Savonnerie du Midi (implantée autrefois précisément au bord de l’eau afin de pourvoir à ses besoins et d’utiliser la rivière comme…moyen d’évacuation de ses déchets), la rue Augustin Roux se caractérise par ses devantures de garages, ses tâches d’huile de moteur et par l’accumulation des déchets sur le bord de la route plus que par le doux glouglou de la rivière.

Pourtant une fois encore elles sont bien là, les Aygalades. Pour les voir dans leur plus bel habit de lumière, l’idéal est de franchir la porte de fer qui donne accès au jardin de la Cité des Arts de la Rue. A condition qu’elle soit ouverte, comme parfois le mercredi après-midi et lors d’événements liés au Jardin de la Cascade.

Avec ces immenses bâtiments de béton et de métal, la « Cité » porte bien son nom et semble se fondre dans le paysage. Mais son enceinte close et les activités qu’elle abrite (créations de décors pour des performances de rue, danse aérienne en baudrier, diffusion de musique expérimentale -parfois à haut volume jusque tard dans la nuit lors de soirées organisées par des collectifs d’artistes…) ne facilitent en réalité pas son intégration dans le 15e arrondissement de la ville, et les habitant.e.s du voisinage ne forment qu’une mince part du public amené à fréquenter les lieux.

La question du partage d’une certaine forme de culture, subventionnée et produite par une scène nationale dans le cas présent, est l’objet d’un vaste débat et n’a rien d’une évidence ni d’une obligation.

Ce qui fait plus l’unanimité, peut-être parce que cela obéit à des besoins plus primaires, c’est le plaisir des visiteurs à se promener dans le Jardin de la Cascade, mis en scène lui aussi par le personnel de la Cité des Arts de la Rue. Surprise de découvrir un espace de verdure en plein dans un quartier bétonné, plaisir de sentir la fraîcheur des arbres et de l’eau, ravissement face à la cascade… les réactions sont à la fois multiples et indifférenciées quelle que soit l’origine géographique des promeneurs, venus du quartier, du centre ville, ou de l’étranger.

L’évidence est là : au pied de la falaise de la Viste, battue par le soleil et le vent, il y a eu et il y a toujours de l’eau ! De l’eau dont on s’oserait n’abreuver, tant elle reflète le développement industriel et urbain de la ville, mais de l’eau qui continue de posséder de nombreuses vertus : celle de rafraîchir, de dépayser et de faire rêver.

Dans H20, les Eaux de l’oubli (Paris, Lieu commun, 1988), Ivan Illich écrit que la propriété première de l’eau sauvage est de provoquer le rêve, par opposition à l’eau domestique qui est réduite à une matière. En poursuivant le syllogisme, on peut alors se permettre d’affirmer que, puisqu’elles parviennent à faire rêver, alors les eaux du fleuve urbain, pollué, oublié des Aygalades sont bien des eaux sauvages.

Le rêve et l’évasion sont donc à portée de main, à 15 minutes à pieds le long d’un chemin qui sent bon l’aventure, avec les cailloux qui roulent sous les pieds et le trou dans le grillage, les cascades cachées sous les frondaisons, le frisson de la traversée du territoire des morts, la porte de métal dont il faut négocier l’ouverture. Le chemin existe mais il faut l’ancrer, le tracer dans les mémoires, le pratiquer suffisamment pour qu’il devienne une habitude, le baliser d’une manière à la fois discrète et éloquente.

VACANCES DE FEVRIER 2023

Rencontre avec les enfants du Centre social del Rio à la Viste.

Première question : savez-vous qu’une rivière coule en bas de la cité ? Qui est déjà allé au bord de la rivière des Aygalades ?

Peu de main se lève, les enfants sont surpris. On leur annonce qu’on va partir marcher, partir à la fois très loin et tout près.

Sur le chemin on se pose des questions sur le paysage, sur les plantes, on cherche à s’orienter, à trouver les indices qui signalent la présence de l’eau. Pour la plupart des enfants l’existence du chemin est une découverte. Sur le terrain en pente, une petite fille crie de peur de perdre l’équilibre, elle n’a pas l’habitude de marcher sur un terrain inégal, quelques cailloux qui roulent lui font se sentir au bord du précipice.

La traversée du trou dans le grillage marque définitivement l’esprit d’aventure. La traversée du cimetière est aussi l’occasion d’évoquer les morts, les grands parents qui parfois ont déjà disparu et qui sont pour certains enterrés ici même.

Ceux qui ne marchent pas trop vite entendent le flot de la cascade de la Savonnerie et cherche à la deviner à travers les branches. C’est l’hiver, il y a peu de feuilles et l’eau jaillissante apparaît.

A la sortie du cimetière, par dessus le petit mur le lit de la rivière est visible pour la première fois. En se penchant par un nouveau trou dans le grillage les enfants commentent l’état du ruisseau et les déchets qui le jonchent.

On traverse la rue Augustin Roux en faisant attention de ne pas se faire renverser par une voiture. Rien ne laisse présager ici que le ruisseau et son jardin sont tout près.

Une fois passée la grande porte de métal, on arrive dans la partie botanique du jardin. Malgré la saison, les plantes, méditerranéennes pour la plupart, sont vivaces. On propose aux enfants de se mettre par deux et de jouer au jeu de l’aveugle et de son guide, afin de découvrir le jardin d’abord avec son nez, ses oreilles et la sensation de ses pieds. Le jeu plaît, même si la proposition de marcher lentement et déployant son attention est nouvelle, il marquera l’entrée dans le jardin de pratiquement toutes les futures visites.

Les quatre drôles d’adultes qui accompagnent le groupe s’échinent à convaincre les enfants que dans l’eau se trouve des trésors, surprenants, déroutants plus que dégoûtants, puisque de toutes façons les objets collectés seront patiemment nettoyés : c’est comme ça qu’on enclenche la relation de soin, en prenant le temps de délicatement faire reluire un élément qui auparavant figuré sur la liste des déchets.

Les enfants rapportent leurs trouvailles jusqu’au centre social de la Viste : ce qui n’est pas une mince affaire lorsque l’objet choisi est..une bonbonne de gaz (vide) qu’il faut traîner dans toute la montée !

Le lendemain les enfants nettoient les objets trouvés et imaginent leur histoire, comme le ferait un archéologue après avoir déterré un fragment d’une civilisation passée : où a-t-il été trouvé, combien de temps a-t-il passé dans l’eau, quel est son nom et son super pouvoir.

Une première mise en forme, des totems (futures indicateurs de la ressource en eau?), est réalisée pendant une session..un peu chaotique même si le résultat final est en fin de compte joyeusement bariolé. Avec de simples morceaux de journaux déchirés on apprend aussi à faire vivre de petits personnages, tout en jambes, une autre manière de découvrir que décidément tout peut être support à histoires.

FEVRIER-MARS 2023

Rencontre avec les femmes de l’atelier couture

Initialement, il était prévu que les ateliers menés avec les enfants le soit aussi avec des adultes. Mais ces derniers n’étant pas « captifs » du centre social comme le sont les enfants, il a été moins facile de les mobiliser sur l’idée d’aller marcher jusqu’à la rivière. Une seule dame s’est présentée au rendez-vous : Aïcha. Elle ne s’est pas découragée et elle a accompagné l’équipe MYTRIDATE tout le long du chemin, faisant aussi sa part de collectage.
Ce jour là, on a découvert un tressage réalisé par la rivière particulièrement bluffant : métal, plastique et queue de renard (ou du moins un matière qui en a la forme) se mélange pour former des sorte de pompons. On les ramasse en se disant que si dans l’absolu on ne sait pas encore quoi en faire, cette forme nous plaît beaucoup tant elle symbolise la symbiose de la matière qui s’effectue dans l’eau.

Avec toutes nos trouvailles et celles des enfants, nous participons pendant 4 séances aux ateliers de couture du centre. En plus Arlette est un bonne couturière, ce qui ne gâche rien et nous permettra de nous rendre utiles en même temps que l’on partage avec enthousiasme nos idées avec les dames qui se réunissent chaque lundi.

La première séance est un peu timide, chacune bricole dans son coin, Arlette aide à faire fonctionner les machines à coudre qui déraillent souvent.
Puis peu à peu au fur et à mesure des séances on se rencontre, on discute, on se donne des coups de mains dans un sens comme dans l’autre.

Plusieurs personnes tissent avec de la laine un masque qui a été commencé par les enfants, on s’amuse de la faculté du caprisun a devenir un excellent tissu pour coudre un tablier.

AVRIL 2023

Les ateliers à l’atelier couture nous auront convaincu qu’il est difficile de parler de la rivière sans l’avoir rencontré physiquement. Sans cela, elle reste une inconnue, une abstraction, voire le sujet de plaisanterie

Mais c’est pas une rivière, c’est un égout ! s’exclame une animatrice que l’on aimerait bien réussir à faire descendre au pied de la cascade.

Alors on a décidé que les prochains ateliers auraient lieu au plus près de l’eau, afin de pouvoir vraiment être à l’écoute de la rivière et inspiré par elle.

Plusieurs personnes sont venues, certaines sur plusieurs séances, d’autres une fois seulement.
Pendant les vacances les enfants de la Viste sont revenus pour retrouver les créations qu’ils avaient entamé en février et réaliser les balises du chemin.

3 MAI 2023

Le jour du pique nique est arrivé !

Parmi les images des « Aygalades autrefois », l’une d’elle a marqué notre imaginaire :

On s’est donc amusé à rejouer cette scène de sortie champêtre au bord de l’eau, en se disant que le dépaysement serait en deux dimensions : voyage dans le temps et Partie de Campagne à deux pas de chez soi.

Nous sommes donc partis avec les enfants de la Viste, empruntant le chemin que désormais ils connaissent bien, le balisant de nos petits mobiles indicateurs de la présence de cette rivière hybride.

A l’arrivée nous avons été accueilli.e.s joyeusement par les grenouilles et les Gammares.

Nouvelle exploration de la rivière, scintillante au printemps, une première pour certains enfants pour qui le caractère magique de l’endroit a tout de suite sauté aux yeux.

Le pique nique s’est conclu par une grande discussion sur le site tel qu’il était autrefois, les habitudes des dames en robes à crinoline, du fonctionnement de la cascade.
Et puis bien sûr cette grande question

« Mais alors, la rivière est-elle vivante ? »

Chacun a donné son avis sur ce « qu’être vivant » signifiait, mais il était certain que la réponse était Oui.

Puis les enfants sont repartis par le chemin que désormais ils connaissent bien.

Leur aventure est visible ici

Merci à toute l’équipe Mytridate et Gammares

Chloé

Charlie

Melville

Arlette

Agnès J.

Claire

Agnès de la Colline

Christiane

Merci au centre social del Rio, à Charlotte et Coline

La Fête Musicale de Caminando Saint-André

Carnet de voyage et de chant

Caminando Saint-André

21 juin 2023

https://issuu.com/hdnsamanta/docs/caminando-2023

Récit photographique d’une balade patrimo/musicale

Tout commence ici…

…à la bibliothèque de Saint-André, les enfants ont construit l’après-midi les bâtons de la Tribu.

et Jeanne nous propose un chant.

Le point de départ du voyage musicale est au restaurant/hôtel Les Tonnelles, on échauffe les voix et les instruments .

Benjamin Pelliccio est venu nous chercher pour la messe..

Mais avant, un petit rituel autour du Platane.

pas le choix, la messe humanitaire, nous est imposé…

ça y est, la parade prend l’ampleur sur la rue Condorcet.

un petit stop à l’école Condorcet, pour écouter l’histoire des écoles raconté par Emmanuelle, de la plaque de la chorale italienne au garage de Momo, de la rivière et des femmes qui nous raconte Agnès.

Terra Canto nous offre l’Italie.

et les Roses de Saint-André nous surprennent avec une danse indienne.

à la rue Pontet, la Fanfare des Familles enchante les voisins au passage.

le balcon de la tia de Jeanne Alcaraz, et les chanteur des Sonnettes nous rappellent la migration espagnole.

on chante la Kabylie, aux immeubles des Tuileries.

rumba maestro! la rue de Grawitz resonne comme l’influence gitane du sud de l’Espagne.

les Joyeuses Petanqueuses du boulodrome de Saint-André, nous ont accueilli magnifiquement. Canteras de la bande à Séon et concert de Barrio Chino.