Toxic Tour Caravelle: Récit #1

On est le jeudi 4 décembre, et on se retrouve sous le soleil d’hiver sur la place devant la poste de Septêmes. 

Derrière le côté anodin du petit rassemblement, la situation est pourtant incertaine. Nous venons pour certains de Septêmes, pour d’autres de St Antoine, pour d’autres encore des Aygalades ou de Saint Henri Rien que ça c’est un pas de côté vers l’inconnu mais aussi vers la rencontre…! Tout en étant tous passionnés par nos quartiers et engagés d’une manière ou d’une autre à mieux les connaitre afin de mieux en prendre soin, pour la plupart on ne se connait pas. D’où un petit silence un peu embarrassé en attendant on ne pas trop quel retardataire. C’est assez rare qu’on soit d’autant de quartiers différents, et même de communes, intéressés par le même sujet pour construire une balade. Alors de quoi s’agit-il? Objectif de l’après midi, commencer à arpenter physiquement les lieux qui pourraient peu à peu nous raconter l’histoire passée et présente de l’industrie chimique dans cette petite commune limitrophe de Marseille, avec qui elle partage (entre autres) le fleuve côtier qu’on nomme ici Caravelle, puis à partir des Aygalades Ruisseau des Aygalades. L’envie pour cette balade en construction est donc clairement de relier une histoire patrimoniale industrielle locale à des situations écologiques actuelles, notamment en s’intéressant aux relations (via l’industrie, la géographie, le fleuve…) de cette petite commune rurale à sa grande voisine marseillaise. Notre petite équipe va donc faire connaissance chemin faisant, sachant qu’on se sait pas vraiment quel chemin on va faire, et se met en route. Nous avons trouvé un consensus pour commencer l’exploration: aller voir au fond du vallon du Maire les rejets de l’usine Spi pharma, source majeure de la pollution actuelle du ruisseau Caravelle. Sur le chemin, Pierre, habitant fin connaisseur des lieux partage anecdotes de village et de rivière, entre vaches flottantes lors de la crue de 1907, restes de fontaine et traces de l’ancien lavoir et moulin.
A partir d’une carte postale du milieu du 20ème siècle ça donne…
Très vite on se retrouve aussi à essayer de démêler ce qu’on sait du bassin versant des Aygalades, c’est à dire de tous ces affluents dont certains ne sont plus considérés que comme des souvenirs, et d’autres comme des égouts.
 
On les suit dans ce qu’on peut en voir…
Et si on regarde une carte, une rivière est une multitude …
Etude de connaissance de l’aléa inondation sur le bassin versant des Aygalades- Setec Hydratec 2015
La balade continue vers le très bucolique Vallon du Maire. Plusieurs hypothèses quant au nom, dont celle qu’à un moment l’une des usines qui le borde était propriété du maire de la commune.
Comme nous sommes dans l’idée d’explorer un Toxic tour, on ne manque pas cette arrivée spectaculaire de colis en provenance de Chine dans le Ruisseau du Maire (affluent qui va donc se jeter dans Caravelle). Certains (Isabelle et Bernard sont des membres actifs de l’association AESE qui lutte contre les pollutions industrielles à Septêmes et ses environs) vont mener l’enquête…
Sur le chemin on s’accorde la joie de prendre un chemin buissonnier pour chercher sur les pas d’Isabelle une mystérieuse source des Lilas… Pas évident de l’identifier mais finalement on la trouve.
Peu à peu les traces industrielles se font plus présentes. De drôles de tunnels de taupes géantes par ici, la forêt cheminée par là, des collines qui sentent de plus en plus le remblai et le terril.
Nous voilà dans les paysages historiques de la chimie locale.
 
Bon là il va falloir prendre un peu plus de phrases pour expliquer (avec l’aide des savoirs de tous et quelques compléments de l’historien Xavier Daumalin…):
 
L’histoire de l’industrie chimique à Marseille et sa région est liée à celle de la soude, nécessaire à la fabrication du savon de Marseille. Initialement produite à partir de végétaux, un nouveau procédé breveté par un certain Nicolas Leblanc en 1791 va lentement (car au début les marseillais ont continué à importer de la soude végétale car moins onéreuse et moins… polluante…) changer la donne en permettant une fabrication à partir de la décomposition du sel marin avec de l’acide sulfurique. 
Le mouvement de passage au procédé Leblanc va commencer en 1809, avec l’ouverture d’une usine au sud de Marseille. La suite de l’histoire, passionnante et complexe, on vous la racontera en marchant, mais pour l’instant nous retenons que le développement des usines est alors intense dans Marseille et que dès les années 1815 des protestations, procès, se multiplient par des habitants inquiets des effets des rejets gazeux sur la santé et sur les cultures… 
 
Et oui, les préoccupations environnementales ne sont pas que des questions contemporaines…!
 
Septêmes fut la première commune hors Marseille, à la fois proche et perçue comme suffisamment rurale pour être « loin de la ville », à accueillir cette croissance rapide des soudières.
Elle sera ainsi également la reine des contestataires, quatre usines des industriels Rougier, Grimes, Rigaud, Crémieux et Delpuget y étant implantées dès ces années là, employant près de 170 ouvriers.
 
En 1816 les usines du vallon sont menacées d’être incendiées. Ca se finit violemment par l’incarcération de plusieurs cultivateurs. Pierre a ainsi retrouvé le procès qu’un de ses aïeuls agriculteurs a intenté aux soudiers. Nous espérons le lire bientôt!
L’état va finalement poser un ultimatum aux soudiers pour qu’ils réduisent leurs gaz. 
 
C’est alors pour certains la délocalisation vers « des déserts » (Port Cros, Porquerolles, Les Goudes et globalement toute la côte littorale), pour d’autres la recherche technologique, avec la mise en place de ces fameux tunnels de taupes qu’on repère dans le paysage, autrement nommées cheminées rampantes (on vous racontera comment ça marche une prochaine fois…). 
Mais la encore des habitants de Septêmes se rebiffent alignant les contre expertises pour prouver l’inefficacité de l»’invention ». 
La bataille fut rude à coup là encore de procès et plaintes. Mais l’Etat et les experts du conseil de salubrité jugeront ces préoccupations environnementales infondées, sauvant ainsi pour un bon bout de temps l’industrie provençale de la soude…

La tumultueuse histoire de la soude se poursuivra tout au long du 19ème siècle, sur fond d’innovations technologiques et d’affrontements fiscaux et économiques , puis aboutira dans ses contenus à la production des engrais chimiques. Elle débute en 1879 à Septêmes avec l’installation de la société Schloesing frères & Cie

L’usine, dont nous avons les vestiges juste sous nos yeux, produit des engrais azotés à partir des eaux de vidanges de la ville de Marseille, ainsi que des engrais phosphatés. 

Ce groupe Schoesling a eu un certain rôle dans l’adoption du modèle de l’agriculture intensive et l’utilisation des engrais chimiques dans le sud de la France, avec des compagnes de communication assez spectaculaires (les carottes géantes!) et même un journal présenté comme informatif  La Gazette des champs, dont le tirage dépassera les 250 000 exemplaires. 

Nous arrivons maintenant au fond du Vallon à l’Usine Spi Pharma. Cette entreprise est installée dans des anciens ateliers du vieil ensemble industriel. Elle produit des produits chimiques utilisés dans les médicaments et notamment les pansements gastriques (le Gavascon). Spi Pharma semble considérer le ruisseau du Maire plutôt comme un égout et y rejette du sel et de l’hydroxyde d’aluminium. L’augmentation de la salinité d’une rivière d’eau douce est un bouleversement écologique majeur auquel qui ici s’ajoutent les pollutions des remblais se déversant dans le ruisseau quand il pleut. 
Ce rejet est identifié par les chercheurs (de l’IMBE, Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie) qui travaillent actuellement à faire une sorte d’« état de santé » du Ruisseau des Aygalades comme la source majeure de pollution, qui impacte l’ensemble du fleuve puisqu’il se trouve très en amont. 
L’AESE est intervenue à plusieurs reprises notamment auprès de l’Agence de l’eau, une verbalisation a également eu lieu lors d’un rejet très spectaculaire en décembre 2016 mais pour l’instant sans avancées majeures.
 
Petites sélections d’images pour se faire une idée de comment ça se présente…

Et le rejet de 2016:

Pour finir cette première exploration, nous partons à l’aventure dans les restes de l’usine Duclos. Installée sur une grosse partie de la colline jusqu’au centre ville de Septêmes, elle produisait à la fois des sels d’aluminum utilisés aux traitements de eaux, des bétons projetés et de l’industrie chimique (Duclos Chimie), et traitait également le mercure (sous le nom de Duclos environnement…). 
 
L’activité mercure a cessé en 2011 et avait fait l’objet de longues luttes des habitants contre son extension, la suite de l’histoire contestataire de la commune… Aujourd’hui un projet de dépollution et d’écoquartier est dans les tuyaux, à suivre…
 
Petite balade en images dans ce Toxic Park en devenir, à la lisière du landart, du graff et de l’art brut…! Laissons parler les images…
 
L’amorce de la reconversion est visible:  la nouvelle médiathèque de Septêmes.
Bernard et Pierre ont chacun a leur façon cartographié cette passionnante balade, une belle manière de conclure.
 
 
La prochaine fois (le 12 février prochain après-midi), direction Lafarge!!
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6 réponses sur “Toxic Tour Caravelle: Récit #1”

  1. Bravo pour cette exploration et recherches sur le terrain.
    Et merci pour toutes les photos et cartes qui les accompagnent.
    On est intéressés par la sortie ” Lafarge”

  2. Très intéressant.
    Simple petite remarque concernant cette phrase : “Le très bucolique Vallon du Maire. Plusieurs hypothèses quant au nom, dont celle qu’à un moment l’une des usines qui le borde était propriété du maire de la commune”
    Cette hypothèse est peu fondée. “Maire” en provençal veut dire “mère” mais, aussi, “source”. Surtout que dans le temps, pour parler du maire, on ne disait pas “lou maire” mais “lou conse”. Ce serait donc plutôt le “vallon de la source”.
    Quant au ruisseau Caravelle, qui prend ensuite le nom de “ruisseau des Aygalades”, il traverse le quartier d’Arenc où on le nomme le “Bacchas” ou “le Biaou”; mais il y donne son nom d’origine à la “rue Caravelle” et le “quartier Caravelle” qui abritait huileries et savonneries et, à la sortie de la guerre, en 1945, un bidon-ville.
    C’est dans ce site que j’ai passé mon enfance racontée, de façon romancée, dans “La Muette d’Arenc”.
    Cordialement

    1. Le nom de vallon du Maire date de 1956 (délibération du conseil municipal), avant le nom était route des usines Schloesing Drugeon et le nom de vallon du maire correspondait à cette époque à la portion de route entre la nationale et les usines, après c’est l’ensemble du vallon qui a pris le nom de vallon du maire. Auparavant le vallon avait le nom de vallon de Notre Dame et au début du moyen-âge(cartulaire de Saint Victor) il était nommé Vallis longa, prope massiliam.
      Cordialement

  3. Effrayant pour moi de découvrir cette pollution…c’était notre terrain de jeux étant enfants et celà malgres les recommandations de nos parents. Je vous parle des années 1960/70/80L’eau du ruisseau était de couleur bleu fluo avec une forte odeur de souffre…avec le recul j’en frissonne, 2 de mes frères sont atteints de cancer, moi de problèmes neurologiques… alors hasard ou pas , je me pose des questions ??? Ce qui est sûr c’est nous avons grandi dans un environnement hautement toxique !
    J.ose espérer que depuis des travaux de nettoyage ont été faits ?
    Vous parlez du biaou, c’est là qu’étaient déversés les “tinettes”du village car la plupart des habitants n’avaient pas de toilettes à l’époque…ce déversoir se situait à droite du lavoir…
    Malgré tout on y à vécu une belle enfance entourée de gens bienveillants autour de nous …
    Brigitte.

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